INTERVIEW

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Bruno Ferret

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SVM

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Bruno Ferret, journaliste chez SVM, a été l’un des premiers à faire le test du CPC 464 en octobre 1984. Il a bien voulu répondre à quelques questions pour Amstrad.eu.

-Mars 2019- (source Amstrad.eu)

– Bonjour Bruno. Tout d’abord pouvez-vous vous présenter rapidement.

Je suis journaliste depuis 35 ans, tout d’abord dans la presse micro-informatique (j’ai démarré à SVM, comme j’en parle plus bas) et « nouvelles technologies » avant de continuer dans toutes sortes de domaines – économie, gastronomie, histoire, etc. Et le journalisme reste un très beau métier !

– Comment en êtes vous venu à travailler dans le magazine informatique SVM ?

Après le lycée, je n’ai pas fait d’études, mais toutes sortes de « petits boulots », dactylo, coursier, libraire… Puis je me suis orienté vers la programmation informatique. C’est dans ce cadre que j’ai rencontré Daniel G. qui, après m’avoir fait travailler dans son entreprise, m’a transmis la place de responsable du service assistance qu’il occupait à SVM. Il s’agissait d’une hot-line téléphonique destinée aux abonnés du magazine leur permettant de résoudre leurs problèmes informatiques. Nous en étions aux débuts de la micro grand-public, c’était parfois épique !

De fil en aiguille, j’ai commencé à m’occuper de la gestion des ordinateurs arrivant au labo en test puis à réaliser moi-même ces tests. C’est ainsi que j’ai commencé à écrire dans le journal.

-Aviez vous déjà réalisé le test de machine de l’époque ? Possédiez vous déjà un ordinateur à titre personnel ?

J’ai commencé par tester un certain nombre de machines, et mes « rapports » servaient de base aux articles des journalistes de SVM (à l’époque, je n’écrivais pas encore). Ce n’est que lorsque l’Amstrad CPC464 est arrivé que Petros Gondicas, le rédacteur en chef adjoint du magazine, m’a confié la rédaction de l’article. Mon premier article, j’étais fier !

En ce qui concerne l’ordinateur personnel, je ne me souviens pas si j’ai eu mon premier avant ou après cet article. Il me semble que c’était un peu avant. Je crois que j’ai eu un ordinateur (dont je ne me souviens pas de la marque) avant d’avoir un Amstrad – le test m’avait convaincu !

– Vous avez été l’un des premiers en France à faire le test du CPC 464 d’Amstrad (SVM n°10-Octobre 1984). Quelles ont été vos premières réactions ainsi que celle de vos collègues ?

Cela remonte à loin mais il me semble bien que SVM a été le premier magazine à tester le CPC464. Je me souviens qu’il était déjà entouré d’une sorte « d’aura » par ses qualités supposées (nous ne l’avions pas encore testé !) et son prix. Il y avait énormément de curiosité à son sujet. Ce qui m’avait fait d’autant plus apprécier de me voir confier l’article le présentant, toute la rédaction s’intéressait à cette machine.

– Aviez vous déjà eu des infos sur ce micro-ordinateur venu d’Angleterre ?

Oui l’Amstrad CPC464 avait déjà été présenté, via communiqué de presse ou conférence de présentation, et la presse anglaise en parlait. Donc, nous avions déjà pas mal d’informations sur cet ordinateur. Mais il y a une différence entre « avoir connaissance de… » et pouvoir tester par soi-même. L’avoir dans nos locaux était une sorte d’événement.

– Que pensiez vous de cette machine qui proposait un ensemble complet Ordinateur/écran/lecteur de cassette ?

À l’époque, c’était ce qui se faisait de mieux sur le marché, avec une conception intelligente (le « tout-en-un »), une belle facilité d’utilisation (ce qui peut faire rire avec 35 ans de recul, en repensant aux cassettes qu’il fallait utiliser pour charger un programme ou stocker des données !), un prix « canon » par rapport à la concurrence, surtout avec le moniteur fourni.

– Le succès des CPC a été important, surtout en France avec ses 1 million d’unités vendues et les difficultés d’approvisionnement au départ. Vous aviez imaginé cet engouement pour ce micro-ordinateur ?

Au vu de ses caractéristiques, de ses performances et de son rapport qualité-prix, sans même parler de sa facilité d’utilisation, le CPC464 (et ses successeurs) ne pouvait qu’avoir du succès. Il faut rappeler qu’à l’époque, (et j’ai eu des questions de ce genre dans le cadre du service assistance) certains ne savaient pas qu’il fallait raccorder le moniteur à l’ordinateur pour disposer d’un affichage, donc vous imaginez avec un lecteur de cassettes !,

Pour nous, il était évident qu’il allait bien se vendre. De là à prévoir le « carton » qu’il a réalisé…

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– A cette époque, beaucoup pensaient que le MSX allait envahir le marché, C’était votre opinion ?

Peu de temps après mon article sur le CPC464, je m’étais vu confier un comparatif entre divers modèles d’ordinateur MSX effectivement censés « représenter le futur ». J’avais trouvé ces machines pas inintéressantes, mais probablement moins attrayantes que l’Amstrad.

En fait, je me souviens surtout qu’il s’agissait de mon deuxième article et que, si le premier était plutôt bon, celui-là m’a valu quelques « coups de pied au cul » totalement justifiés de la part de mon rédacteur en chef adjoint. La méthode était rude, mais elle m’a appris la rigueur qui me manquait alors. J’en suis reconnaissant à Petros. Et elle a permis de publier un article sur les MSX de bien meilleure qualité que ce que j’avais réalisé dans un premier temps, c’était le principal…

– Avez vous déjà eu un ordinateur de la marque ?

J’ai eu un CPC464 avant de prendre un portable PPC512. Je me souviens surtout de ce dernier parce que je l’ai ensuite donné à un ami romancier, Roland C. Wagner, ce qui lui a permis de passer de la machine à écrire au traitement de texte.

– Aviez vous déjà entendu parler d’Amstrad et de son pdg Alan Sugar ?

Bien évidemment, nous avions tous entendu parler d’Alan Sugar, il était une « star » au même titre que Clive Sinclair.

– Marion Vannier, PDG de la filiale Amstrad France n’était pas encore très connue. L’avez vous rencontré ou un de ses collaborateurs ?

Oui, j’ai rencontré Marion Vannier. Elle savait très bien représenter la marque, elle faisait le tour des rédactions, elle est donc passée à SVM. Et j’ai dû la voir à d’autres occasions, mais je ne me souviens pas des détails.

– Quelle était pour vous la meilleure machine à cette époque ?

D’après vous ? Le CPC464, bien sûr.

 

– SVM était l’un des plus importants magazines spécialisés. Aviez vous des contacts avec d’autres rédactions ?

SVM était même le numéro 1. Le magazine se vendait alors à plus de 150 000 exemplaires par mois. Ça fait rêver…

Et, bien sûr, les conférences et voyages de presse permettaient de rencontrer les confrères des autres rédactions. Tout le monde se connaissait, il y avait des « personnages » étonnants, cela donnait parfois des moments assez épiques.

– Vous avez également travaillé pour AmstradHebdo. Pouvez vous nous en parler ?

J’ai quitté SVM en 1986 et je suis devenu pigiste – pour divers magazines micro, pour Vidéotex Magazine (on parlait de minitel !) et pour AmstradHebdo, qui était publié par le même éditeur qu’Hebdogiciel.

J’ai participé à tous les numéros du journal, étant quasi-permanent avec le rédacteur en chef, Philippe Martin. Je me souviens de quelques nuits de bouclage (l’organisation manquait peut-être un peu de rigueur…) assez délirantes, à faire des tests de jeux à 2 heures du matin.

Le contenu du journal était sérieux sur le fond mais nous nous lâchions pas mal sur la forme, n’hésitant pas sur les jeux de mots. Et le magazine était très ouvert. Roland C. Wagner, dont je parlais plus haut, s’est lui aussi retrouvé à tester des jeux et à écrire des articles, alors qu’il était écrivain de science-fiction (il est malheureusement décédé en 2012).

– Cette publication n’a pas tenu bien longtemps (12 numéros). Une explication ?

En revenant de quelques jours de congé pour le nouvel an 1987, nous sommes arrivés, tous les membres des diverses rédactions du groupe, devant la porte des bureaux. Elle était fermée. Et les magazines n’existaient plus. Personne ne nous avait prévenus. Et je n’ai pas le souvenir que le dernier mois ait été payé…

En fait, le patron, Gérard Ceccaldi, a fermé Shift Editions (le nom de l’éditeur d’AmstradHebdo et d’Hebdogiciel) du jour au lendemain. Parce qu’il « en avait ras le bol » selon ce qu’il a déclaré plus tard dans une interview. Où il explique également : « on est parti la queue entre les jambes. On ne pouvait pas arrêter noblement… » On peut dire que c’est un parfait résumé de ce qu’il s’est passé.

– Avez vous croisé Carali, le dessinateur de l’Hebdooo ?

oui, c’était quelqu’un de très bien. Je l’ai connu avec Jean-Louis Le Breton qui avait créé une boîte d’édition de logiciels. il était aussi dans le milieu de la science-fiction où je trainais pas mal à l’époque. Et Jean-Louis avait créé un groupe assez déjanté nommé Los Gonoccocos avec deux potes, dont Yves Frémion. Ce groupe était très drôle. En fait, malgré quelques fâcheux, on rigolait bien, à l’époque…)

 

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Vos impression, votre regard sur cette période du début de l’informatique ?

C’était une période assez fantastique. Déjà, j’étais un jeune « blanc bec » qui débarquait dans un milieu dont il ne connaissait rien, je passais mon temps à apprendre, à ouvrir grand les yeux. Et il y avait un véritable foisonnement, à tous les niveaux. Les nouveautés qui rendaient obsolètes leurs prédécesseurs se succédaient à un rythme démentiel, tout évoluait à grande vitesse. Avec à côté de cela d’énormes décalages, dont nous n’avions pas conscience à l’époque mais que l’on peut trouver étonnants avec le recul : par exemple, il faut savoir qu’à l’époque où je suis entré à SVM, les articles étaient tapés sur une machine à écrire et la mise en page s’effectuait avec bandes de papier, colle, ciseaux et typomètre. Ce n’est que quelques mois plus tard que sont arrivés les premiers Mac et le traitement de texte.

En outre, à l’époque, le milieu était beaucoup moins formaté que par la suite. Tout un chacun pouvait plus ou moins s’improviser éditeur du jour au lendemain, ou journaliste. Tout le monde apprenait sur le tas, ou presque. Par exemple, à SVM, il y avait Petros Gondicas qui avait une formation de journaliste, comme Yann Garrett ou Hervé Kempf. Mais ils n’étaient pas très techniciens (ils ont évidemment bien progressé par la suite), au contraire d’un Seymour Dinnematin, qui venait de l’informatique et était un puits de science dans le domaine mais n’était pas journaliste à la base. Tous ces profils se complétaient, tout le monde progressait au contact des autres. Et c’étaient des « figures » assez remarquables.

Du côté des fournisseurs (d’ordinateurs, de logiciels, de périphériques…), c’était tout aussi « fantasque », il y avait de véritables personnalités excentriques, des personnes qui faisaient de l’informatique à côté d’autres activités (j’ai le souvenir ému d’un éditeur qui, sur un salon, m’a fait déguster son petit vin blanc et les huîtres de son beau-frère sur son stand, un grand moment !).

Tout n’était pas toujours sérieux, c’était même parfois assez bordélique, chez les uns comme chez les autres. Mais ça vivait, ça évoluait à une vitesse foudroyante. Je n’ai pas l’impression que nous avions le sentiment de vivre une période « historique » (les débuts de l’informatique grand-public), mais nous surfions sur cette vague, nous étions acteurs d’une période incroyablement vivace, créative.

Et comme bien peu se prenaient au sérieux (ce qui n’empêchait pas de l’être dans le travail, à SVM…), nous nous amusions beaucoup. Et il y avait toujours une grande excitation à voir arriver des nouveautés. À cette époque, tout un pan de la technologie pouvait s’effondrer par le biais de l’arrivée d’une nouvelle technologie bouleversant radicalement la donne. Et beaucoup de choses semblaient « extraordinaires », d’autant que l’on voyait également poindre les prémices d’autres grandes révolutions, comme le téléphone portable ou Internet (sous des formes moins développées, mais l’idée de base était là). C’est aussi ce qui a sans doute fait que les périodes suivantes ont eu moins de saveur : le marché s’est formaté, les grandes « révolutions » ressemblaient plus aux yeux de ceux qui avaient vécu les périodes précédentes à de « simples » évolutions, tout cet univers est un peu « entré dans le moule ».

Ce n’est pas pour dire « c’était mieux avant », simplement pour constater que l’on est passé d’une « ère des pionniers » (en exagérant un peu) à un « business » parmi d’autres.

– Avez vous quelques anecdotes de l’époque à nous raconter ? Je suppose qu’avec le SAV de SVM vous avez du également être servi.

En ce qui concerne l’époque AmstradHebdo, je me souviens surtout d’un soir où avec Philippe Martin, nous sommes partis dans un énorme délire à cause d’un jeu, basé sur Arthur et la table ronde, où l’épée d’Arthur se nommait Kamembert (ou quelque chose d’approchant). Évidemment, pour des Français, le nom ne pouvait que prêter à rigoler. Avec la fatigue (nous bouclions parfois à 3 heures du matin…), le délire avait pris des proportions assez étonnantes. Et il s’était retrouvé dans le journal – l’article manquait sans doute un peu de cohérence…

Du côté du Service assistance de SVM, il y avait pas mal de moments assez drôles aussi. Il faut se rappeler que c’étaient les débuts de la micro-informatique grand-public, ce qui intéressait non seulement l’équivalent d’alors des « geeks » d’aujourd’hui mais aussi toute une population plus âgée (j’avais pas mal de retraités qui me contactaient) pas toujours très au fait de la technologie. En outre, obtenir des informations n’était pas toujours évident : la discussion commençait souvent par « ça marche pas ». Et il fallait parfois un bon quart d’heure de questions diverses et variées pour déterminer l’origine de la « panne ».

J’ai ainsi eu un interlocuteur ne comprenant pas pourquoi, après avoir allumé écran et ordinateur, rien ne s’affichait sur le premier. Après « enquête » approfondie, il s’est avéré que le brave homme n’avait tout simplement pas raccordé les deux équipements… Une autre fois, un monsieur râlait parce que son ordinateur 16 couleurs (un must à l’époque, si si) n’affichait que des images en noir et blanc. Cela peut sembler bizarre, mais il m’a fallu un bon moment pour comprendre qu’il avait acquis un moniteur… monochrome !

En tout cas, le service avait un énorme succès. J’étais débordé par les appels et les courriers reçus (j’étais seul à assurer le service alors que SVM comptait plusieurs dizaines de milliers d’abonnés qui pouvaient contacter librement le service…). Mais cela a fini par engendrer du mécontentement, je ne pouvais faire face à toutes les sollicitations. Plutôt que d’augmenter les effectifs, SVM a préféré fermer le service, ce qui était assez logique : c’était un poste de dépense qui ne ramenait pas d’argent.

– Vous avez gardé des contacts avec certaines personnes de l’époque ?

Oui pendant un long moment. Puis j’ai déménagé du côté de Toulouse et j’ai un peu perdu de vue la plupart de ces gens. Mais j’étais resté très ami avec Seymour Dinnematin (malheureusement décédé il y a quelques années) et j’ai longtemps travaillé avec Yann Garrett. Du côté d’AmstradHebdo, hormis Roland C. Wagner, qui était un ami proche, je n’avais conservé de contacts qu’avec Mathieu Brisou, qui était sur Hebdogiciel, et avec qui je suis resté en relation pendant un bon moment. Puis la distance et le temps ont fait leur œuvre…

Mais il est vrai qu’aujourd’hui, je ne vois plus vraiment personne de cette époque. J’ai plusieurs amis du monde de la presse, mais de périodes un peu plus récentes.

– Votre situation professionnel actuel ?

Malgré la « crise de la presse » (sur laquelle il y aurait beaucoup à dire…), je reste farouchement attaché à mon métier de journaliste dans la presse « papier » – et sur le Web, bien sûr. J’ai depuis longtemps cessé d’écrire sur les nouvelles technologies, je m’intéresse plus à d’autres domaines d’activité, comme l’histoire ou l’art de vie au sens large, domaine sur lequel je suis en train de travailler pour un nouveau projet.

Je reste persuadé qu’il y a la possibilité de réaliser des magazines qui intéressent les lecteurs, qui se vendent, qui soient rentables. Mais cela implique de réfléchir à la manière de les positionner et de les faire connaître dans l’univers actuel. Il peut y avoir des choses très intéressantes à faire, à mon avis.

– Il existe aujourd’hui de nombreuses communautés d’utilisateurs de vieux ordinateurs, en particulier autour des micros d’Alan Sugar. Il sort encore aujourd’hui des jeux, des démos et des périphériques. En aviez vous connaissance ?

Oui, j’en ai un peu entendu parler, j’ai vu quelques sites consacrés à ce genre de sujets. Mais comme je me suis pas mal éloigné de ce milieu, j’avoue suivre cela de loin.

Cela étant, je trouve cela bien que des personnes, et j’imagine parfois trop jeunes pour avoir connu ces époques de leur vivant, s’intéressent toujours à ces « vieilleries » et assurent leur mémoire. C’est important de garder une trace de ce passé, de montrer la qualité de ce qui se faisait à l’époque. Parce que, même si les moyens techniques étaient bien moindres qu’aujourd’hui, il y avait parfois un très haut niveau de qualité dans la créativité et la réalisation.

– Pour finir, je vous laisse le mot de la fin. Si vous avez des choses à dire au lecteur d’Amstrad.eu c’est le moment ;).

Qu’ils aient connu la « grande époque » d’Amstrad ou qu’ils aient découvert ces fantastiques machines bien plus tard, je trouve cela génial qu’il y ait toujours des personnes pour perpétuer le souvenir de ces ordinateurs (qui ont quelque part révolutionné l’informatique de leur temps ) et de cette époque assez extraordinaire en termes d’évolution technologique. Et j’espère qu’ils prennent au moins autant de plaisir à utiliser ces ordinateurs que nous avons pu en avoir en ces temps-là à les découvrir et les utiliser.

– Merci Bruno d’avoir bien voulu répondre à mes questions.

Phenix

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