-Octobre 2003- (source : Amstradeus)

Interview de M. Cliff Lawson
(Project Manager des NC et PenPad)

– Quand avez vous rejoint Amstrad ? Où travailliez vous avant ? Pourquoi Amstrad ?
Je suis arrivé en Octobre 1984. Je n’avais jamais travaillé auparavant – cela va faire 20 ans (les voleurs du train postal ont pris moins que cela !). A la fin de mon cursus universitaire à Newcastle j’ai effectué un stage dans une entreprise à effectuer de la programmation en COBOL Mais il a fallu peu de temps pour s’apercevoir que nous ne nous entendrions pas ensemble alors j’ai quitté l’entreprise.

Comme j’étais passionné depuis la fac par la programmation en Forth, j’ai décroché un boulot de programmeur en Forth mais c’était à des kilomètres d’où j’habitais. La même semaine j’ai vu une annonce dans la revue Popular Computing Weekly disant qu’Amstrad recherchait du monde et ce n’était qu’à un quart d’heure de chez moi. J’ai eu un entretien avec Roland Perry le vendredi et je commençais le lundi.

– Sur quels projets avez vous travaillé ?
CPC 664, CPC 6128, PCW 8256, PCW 8512, PC 1512, PC 1640, PC 2xxx, PC 3xxx, PenPad, NC100, NC150, NC200, PC 4xxx, PC 5xxx, PCW16, MCR700, em@iler, em@ailerPlus et d’autres projets à venir.

– Que pensez vous des CPC aujourd’hui ? Qu’en pensiez vous à l’époque ?
J’avoue que je n’y pense guère aujourd’hui. Je n’ai plus lancé ne serai-ce qu’un émulateur depuis 4-5 ans. A l’époque, le moniteur intégré était une idée brillante (surtout qu’à l’époque, les gamins n’avaient pas tous une télé dans leur chambre). Cela évitait de séquestrer la TV familiale. Le système était également plus cohérent.

Le lecteur de cassettes intégré, plus fiable, était une autre grande idée. Et le firmware ainsi que le Basic posent encore aujourd’hui les standards de comment les choses devraient être faites de nos jours (API totalement documentés). 

– Quelles étaient vos relations avec Alan Michael Sugar, Roland Perry ou Locomotive Software ?
A l’époque, je crois qu’AMS ne connaissait même pas mon nom. Aujourd’hui nous allons jusqu’à avoir des conversations qui ne sont pas liées au travail, surtout sur l’aviation puisque nous sommes pilotes tous les deux et j’ai de ses nouvelles presques toutes les heures durant la journée de travail (même quand il est sur son yacht au milieu de la méditerrannée ou dans sa villa en Floride).

Roland était un super manager. Il était capable de boire de la bière, boire 2 à 3 pintes d’Abbot pour déjeuner et on revenait en prétendant réellement travailler ! J’ai perdu le contact avec lui, comme d’ailleurs avec tous ceux qui ont quitté Amstrad. Je ne suis pas très bon sur ce point, mais nous nous envoyons toujours des voeux pour Noël.

– Que pensez vous du PenPad ?
Un design inspiré pour un outil 10 ans en avance sur son temps. En combien déjà ? 1991 ? Un organiseur à écran tactile avec reconnaissance de caractère. Je crois que c’est vers 2000-2001, dix ans après, que Palm, Handspring ou Compaq ont connu un marché porteur pour ce genre de produit.

Aujourd’hui, personne ne se souvient d’Amstrad et son PenPad et d’Apple et son Newton. L’idée venait en fait d’un gars appelé Stephen Randall d’Eden Group à Macclesfield, une entreprise de design mais sans savoir faire pour la production en masse ou le marketing donc nos entreprises étaient de bonnes solutions.

Il avait déjà eu la prévoyance de déposer les brevets pour des tas d’idées sur ce produit (je me demande s’il touche encore des royalties de tous les autres producteurs de PDA ?) Le produit devait être un « filofax éléctronique » et c’est exactement ce que nous avons réalisé.

– Quand avez vous été nommé « project manager » et quelle a été votre réaction ?
Je l’étais déjà pour les NC, donc c’était juste un autre job mais quand nous avons vu l’idée pour la première fois ce furent David Hennell et moi même qui pensions être à des milles de cela. Les autres pensaient que c’était un « trip d’égo d’ingénieur ». Je crois qu’ils ne voyaient pas la réelle possibilité de ce genre de produit de devenir un produit quotidien, du coup, oui, j’étais plus qu’heureux d’en prendre la responsabilité.

– Combien de personnes ont travaillé sur ce projet ?
Comme dans tous les projets, cela varie. Certains recherchent les idées, concepts, d’autres construisent la machine ou créent le soft, peut être dans les 20 personnes, ce nombre venant à diminuer au fur et à mesure de l’avancement de la machine.

– Alan Sugar a t-il été impliqué à ce produit ?
Au début il était très sceptique et est devenu de plus en plus enthousiaste avec le temps. Comme toujours, il est très impliqué dans les projets. Il est capable de tenir 3h sur un débat tel que pourquoi un bouton est vert et non pas bleu ou pourquoi utiliser un condensateur à 5 cents plutôt qu’un à 3. Ce n’était pas différent pour le PenPad.

Il a toujours une approche de béotien et anticipe leur réaction. Sur le NC100 c’est lui qui a écrit les 35 premières pages du manuel. Pour le PenPad il fit de même, faisant passer le message dans le jargon de M. Tout le monde plutôt que de laisser un technophile de base comme moi écrire cela (même si j’ai écrit moi même les 200 dernières pages du manuel du NC200 moi même!)

– Le PenPad a peu d’applications disponibles. Pourquoi ?
C’était un filofax éléctronique. Ni plus, ni moins. Quand vous achetiez un filofax à l’époque (ou aujourd’hui) ce que vous en faites est plus ou moins ce que vous pouvez faire avec le PenPad.

Quand nous avions des difficultés à le vendre (à 299£) d’autres personnes sont venus avec des applications de ‘saisie’ qui sont en fait l’utilisation naturelle d’un ordinateur LCD, piloté par stylet et qui tient dans la poche (imaginez les gens d’EDF venir relever votre compteur avec un PC tactile. Top – mais peut être encore un peu en avance sur son temps)

– Y avait il une sorte de concurrence avec Apple pour voir qui le commercialiserait en premier ?
Non. Nous n’avons été au courant du projet Newton que 2-3 mois avant le lancement du notre (6 mois avant le leur). Nous y travaillions depuis 2 ans et demi et j’imagine que c’était la même chose pour Apple mais aucun des deux n’étaient au courant des agissements de l’autre (Je doute qu’un géant comme Apple se soit intéressé à ce qu’un petit comme Amstrad mijotait)

– Y a t-il eu des contraintes à ce projet ?
Tous les produits Amstrad, du premier au dernier, sont construits afin d’être vendus à un certain prix dans les chaînes Dixons un samedi après midi au prix que l’homme de la rue était prêt à mettre et ce fixé par les gens du marketing (particulièrement Alan).

Ils avaient décidé qu’il se vendrait à 299£. Donc enlevez les 17.5% de TVA cela vous donne un prix de 255£ H.T. Le revendeur demandera une marge de 30-40%, dison 35% ce qui amène le prix à 188£. N’étant pas philanthropes, nous souhaitons une marge de 30% ce qui nous donne un prix produit fini de 145£. Il y a les coûts de douanes et de transport de l’extrême orient de 10% ce qui nous donne un coût de 132£.

L’usine en voudra une partie pour son travail, environ 10% ce qui amène à un coût final de 120£. Les composants sont presque toujours payés en dollar. A l’époque le taux de change était d’environ 1.5, donc nous disposions de 180$ pour l’achat de composants si nous voulions rester dans les 299£ fixées.

Bon, les deux principaux éléments en terme de coûts étaient l’écran LCD et le panneau tactile au dessus. Je crois que le panneau revenait à 25$ et l’écran entre 70 et 80. Cela représente plus de la moitié du coût. La licence pour le logiciel de reconnaissance (licence déposée) ainsi que le design d’Eden revenait également cher en royalties. C’était tout juste faisable pour 299£.

Il n’y a pas longtemps j’ai vu un Palm dans les 70£ et je me demande comment ils font et s’ils gagnent vraiment leur vie ?

– Pourquoi en avoir fait une machine multi-langues ?
A l’époque Amstrad s’était internationalisé et nous avions des divisions à Paris, Madrid, Rome et Francfort. Il n’y avait guère d’intérêt de faire quelque chose qui ne pourrait se vendre qu’au Royaum-Uni et nos divisions auraient été passablement énervées si nous leur avions fourni quelque chose qui ne pouvait se vendre chez eux.

Dans la plupart des produits, cela veut dire l’utilisation d’une ROM différente et un software par pays mais comme la philosophie se basait sur des icones plutôt que sur des textes fastidieux, nous avons opté pour une ROM couvrant les 5 langues. C’est génial pour le contrôle de nos stocks parce que si quelque chose se vend comme des petits pains en Espagne mais pas du tout en Allemagne, il suffisait d’envoyer quelques semi-remorques bouger le stock.

Si chaque pays devait avoir sa ROM, cela aurait impliqué de la placer sur un socket (et faire grimper le prix de revient). On a le même problème avec les PCs (et CPCs et PCWs) et leur clavier différents. Comme le PDA n’en a pas, le problème ne se posait pas.

– Que pensez vous du NC ? Qu’en pensiez vous à l’époque ?
Pas grand chose. Je mange, dors, et respire e-mailer et rien d’autres (hormis les hélicoptères radio contrôlés mes jours de repos).

– Quand avez vous été nommé « project manager » pour le NC et quelle a été votre réaction ?
Quand ? Je ne sais plus. Un an avant son lancement, soit vers 1990-91. J’étais ravi parce que c’était le premier projet que je pilotais vraiment.

– Combien de personnes ont travaillé sur ce projet ?
Même réponse que pour le PenPad. Mais en moindre, je dirai 15. La plus grosse partie du soft a été réalisé par Arnor et l’électronique par Nakajima au Japon.

– Quel était l’objectif de ce produit ?
Prendre des notes où que vous soyez. On était enthousiasmé par le succès du PCW et Alan en voulait un portable.

– Y a t-il eu des contraintes pour ce produit ?
Oui, le coût de fabrication encore une fois. Le NC100 aurait pu avoir un écran LCD plus large et orientable un peu comme le NC200, mais nous avons été contraints d’abandonner l’idée en raison du prix de vente que nous nous étions fixés.

– Alan Sugar a t-il été impliqué dans ce projet ?
Énormément. Il n’aurait pas eu des touches de couleurs autrement. C’était son idée car il pensait que ça le rendrait plus facile d’utilisation si on vous disait d’appuyer sur la touche rouge puis bleue plutôt que de vous dire « appuyez simultanément sur CTRL et SHIFT puis sur A » et attendre 2 heures avant qu’ils aient localisé les touches.

C’était tellement le bébé d’Alan qu’il a insisté pour écrire les 35 premières pages du manuel de l’utilisateur en argumentant que « vous autres tarés pourrez écrire ce que vous voudrez après » (ce que l’on a fait !)

– Avez vous été influencé par le Z88 de Cambridge (Sinclair) ?
Non. Encore une fois, je crois qu’il y avait des développement parallèles et si influence il y avait c’était plus de regarder les erreurs des autres afin de ne pas les répéter. Les cibles étaient différentes.

Le NC100, comme tous les produits Amstrad, était plutôt destiné au conducteur de camion (NDLR : image qu’aimait bien employer AMS) qui se promène dans un magasin Dixons le samedi après-midi. Le Z88 était plutôt destiné à des nerds comme moi…

– Avez vous encore chez vous des machines Amstrad ?
J’ai deux e-mailers. Le premier modèle dans notre chambre et le dernier à l’étage du bas. Ma femme ne jure que par ce produit et envoie tous ses e-mails avec. C’est 100 fois plus facile qu’avec un PC et comme c’est votre téléphone et qu’il est donc toujours branché, vous n’avez pas besoin d’attendre 1/2h avant qu’il se mette en route.

– Que pensez vous de ce qui est arrivé à Amstrad sur le marché informatique ?
Qu’on en est sorti juste à temps. En fait, on aurait dû se retirer avant. A partir du moment où il est passé d’un marché où l’innovation individuelle vous offrait le marché (PC 1512, PC 1640, ALT 286) à un marché de masse où tout le monde achète la même carte mère, disque dur, moniteur, carte vidéo et les monte, où c’est celui qui a la plus belle tour qui vend le plus alors ce n’était plus marrant (et il n’y avait plus de possibilités de gagner de l’argent).

– De quoi êtes vous le plus fier ?
L’e-mailer. C’est 20 à 30 fois plus compliqué que le PenPad et le NC et près de 85% du design (software et d’autres éléments également) sont de moi. Quand je rentre dans un Dixons, je peux en montrer un et fièrement dire « j’ai conçu cela ». Le modèle en développement est encore plus excitant que le produit actuel pour différent raisons qui apparaîtront évidentes dans quelques mois (si j’arrive à le finir à temps).

– Quel est votre Amstrad préféré ?
L’e-mailer plus

– Quel est celui que vous aimez le moins ?
Sinclair PC 200 (il a fallu 3 secondes pour y penser)

– Y a t-il un projet que vous regrettiez de ne pas avoir terminé ?
Le PDA700 aurait dû être la nouvelle génération de PenPad mais avec un fax intégré qui n’aurait pas seulement permis la réception de fax (le premier en sans fil tenant dans la main) mais aurait utilisé le même canal pour offrir des contenus style sports/news/météo dans le style du mintel/teletexte.

Il a été abandonné car le PDA600 ne s’est pas vendu en quantité suffisante et que le très sensible récepteur radio ne fonctionnait pas à côté des bruyantes parties électroniques du circuit.

– Que faites vous maintenant ?
Ben, le moins possible mais sur ma carte de visite il y a inscrit « Ingénieur en chef du design logiciel ». Je passe encore près de 50% de mon temps à programmer en C et le reste à régler les problèmes découlant des produits que nous avons infligés au monde.

– Que pensez vous des collectionneurs de vieux micros ?
J’ai deux PCW 8256 dans mon bureau donc je ne dirai rien de désobligeant sur les nerds. Je suis fier d’en être un et mon héros serait un mix entre Bill Gates et Linus Torvalds !

Interview réalisée le 23 Octobre 2003. Merci à M. Lawson pour ses réponses, sa gentillesse et son humour !

(c) Charles da Silva – 2003