Aujourd’hui je préside la société Visiware que j’ai fondé en 1994, et qui est devenu le leader mondial dans le domaine des jeux en télévision interactive. Nos chaînes de télévision sont diffusées dans plus de 70 pays. Depuis deux ans nous avons lancé la première offre triple play qui permet de jouer sur TV, mobile et internet, ainsi vous pouvez commencer une partie disons sur votre TV et la continuer sur votre mobile.
En plus de Loriciel j’ai créé ou participé à des sociétés comme Microïds, Evolution, Broderbund Europe, PCAway… Evolution avait créé le traitement de texte le plus vendu à l’époque et qui était fourni avec les Amstrad PC.
Une anecdote ? La négociation avec Marion Vannier d’Amstrad pour ce traitement de texte a été longue et douloureuse ; en parallèle Atari nous faisait des propositions et demandait l’exclusivité. Finalement alors que nous avions négocié chaque centime mais que tout le monde allait craquer, avant la signature, Marion Vannier nous a convoqué. Nous étions résolu à ne plus rien accepter, plus rien, et surtout pas de nouvelles fonctionnalités à développer dans le traitement de texte. Et voila ce qu’elle avait à nous dire : « OK on signe, mais sous une condition non négociable : je veux que le manuel du produit soit dos carré collé cousu (une méthode de reliure qui est plus solide), vous comprenez pour une femme c’est important». Je dois dire qu’elle nous a soufflé, nous nous attendions à tout sauf à cela. Nous avons accepté et signé.
Laurant Weill (Loriciel)
L’ensemble occupait dans ma cuisine deux tables et des milliers de liaisons et circuits discrets. Une époque formidable et une machine incroyablement puissante avec des fonctionnalités innovantes et étonnantes, des résolutions graphiques jamais atteintes, ce pour un prix très bas. TOM sous le bras, nous avons été voir Thomson, (ils avaient sorti le TO7) ; ils étaient disons surpris et nous le fûmes également quant ils nous ont répondu : « on ne croit pas au 16bits, merci». Six mois plus tard sortait le MacIntosh à base de 68000, puis les Atari, Commodore…
Avant, pendant et après Loriciel -que j’ai crée en Septembre 1983 juste à la fin de mes études- je pense avoir vu passer toutes les machines. Les ZX80 puis 81, Apple 1, Lynx, Oric, Dragon, Enterprise, Mattel, Pet, CBM, Alice 32, Philips VG5000, Thomson, les Atari, Amiga… et bien sûr tous les Amstrad.
J’arrive donc de Paris pour négocier la distribution exclusive en France, avec ma belle mallette en métal. Il m’invite à m’assoir dans un large canapé du salon, devant moi une table basse, en face sa femme et lui. Elle me propose des rafraichissements et je prends un grand jus de tomate. Le verre posé juste devant moi, la conversation s’engage. Désirant lui montrer le dernier magazine Tilt (de jeux vidéos) j’ouvre donc ma rutilante mallette, qui en se dépliant rapidement heurte le verre de jus de tomate qu’elle projette avec tout son contenu… sur mes deux invités. Vous imaginez que pour une introduction c’était « sanglant ». Une horde de sous directeurs, nounou, femme de ménage ont accouru, ce qui n’a fait qu’amplifier ma gêne. Nous avons finalement signé ce contrat avec Activision.
Les programmeurs qui à l’époque étaient au centre d’une équipe de développement très limitée (1-5 personnes) étaient créatifs et facétieux, et c’était en permanence le concours de celui qui faisait la meilleure, disons, « blague » :
* Un jour un graphiste était venu me voir complètement désespéré. Il travaillait sur un jeu avec le programmeur Vincent Baillet qui malgré son insistance ne voulait lui allouer que 16 couleurs pour réaliser les graphismes (en raison des limites de la machine qui ne pouvait en afficher plus). Jusqu’à ce qu’un autre programmeur, Pascal Jarry, vienne le voir, sérieusement, et lui dise «tu sais, Vincent n’est vraiment pas sympa, moi je te donnerais 256 couleurs si tu travaillais avec moi ». Malgré toutes nos explications il en a toujours voulu à Vincent…
* Une histoire qui est depuis assez connue. La société Evolution, dont j’étais un des quatre actionnaires et qui a été vendu à IBM, était dans les mêmes bureaux que Loriciel. Elle concevait donc un traitement de texte. A l’époque pas de drivers, nous devions écrire des pilotes pour chaque imprimante du marché. Imprimantes qui avaient des tas de réglages hardware, et non software comme aujourd’hui. Un jour un client appel la hotline et explique que son document ne s’imprime pas, je vous passe les détails des 2 conversations de 1 heure avec tests de tous les paramètres, y compris les switchs, câble imprimante etc… Ne voyant plus aucune solution au problème, notre employé de la hotline a donc proposé au client de nous envoyer une copie de sa disquette, afin que nous l’analysions. Deux jours plus tard nous avons reçu… une photocopie de la disquette. Le client avait posé sa disquette sur un photocopieur et en avait fait une copie !
* Je me souviens d’un client qui m’avait téléphoné en hurlant, nos logiciels ne fonctionnait pas, c’était honteux etc… un Monsieur vraiment désagréable. J’essaye poliment de le calmer, mais avec difficulté. Il m’explique qu’il a fait exactement ce qui était indiqué dans le jeu soit d’appuyer sur F4, mais que rien ne se passait, et le client de me demander comment nous avions pu laisser des erreurs aussi énormes. J’ai finalement compris, en reprenant tout du début avec lui, que depuis une semaine il appuyait sur la touche F, puis la touche 4, au lieu de la très connue touche de fonction F4.
* De cette femme qui traitait tous les éditeurs de jeux de macho, ne cherchant pas à répondre aux besoins des femmes, une honte ! Elle, avait la solution pour intéresser les femmes à l’informatique et pour faire, dixit, exploser le marché. Elle nous proposait son logiciel de recettes de cuisine, étape par étape. Même si sur le fond elle n’avait pas complètement tord, je lui ai signalé que la TV et l’Oric n’était pas vraiment dans la cuisine en général, et que même si on les y déplaçaient, je doutais que, les mains pleines de farine, l’on ait envie d’appuyer sur les touches du clavier. Elle m’a raccroché au nez.
* Nous avons longtemps travaillé avec un excellent et reconnu programmeur, ayant développé nombre de jeux à l’époque. Il avait commencé en tant qu’auteur indépendant pour Loriciel puis est devenu salarié. Un matin je vois sur son bureau un pistolet ! Oui il venait avec un pistolet au bureau car quelqu’un avait raillé… le rétroviseur de sa voiture. Une belle voiture à l’époque, qu’il s’était payé avec ses premières royalties de Loriciel. Je lui ai expliqué gentiment que ce n’était ni un outil de travail nécessaire, ni désiré. Rien à faire le lendemain il est revenu avec.
On passait devant son bureau pour arriver au mien et je me souviens de clients qui ont été, disons, surpris de voir l’arme à droite du clavier. D’autant que l’autre programmeur de la pièce travaillait en chaussons pour être plus confortable. Bref, après plusieurs discussions, il a finalement fallu le menacer de licenciement pour arriver à ce qu’il se débarrasse de son arme. – Ce programmeur avait commencé à faire ses premiers jeux à 16 ans. Comme beaucoup d’autres que nous en avons édité et eu le plaisir de connaître, nombreux de ces petits génies en herbe, étaient quelque fois, disons, originaux…
* Allez sur ma lancée une petite dernière. Tous les ans avait lieu la grand messe, le salon mondial du jeu vidéo. Et toute l’industrie française arrivait et partait au salon en gros le même jour, nous nous retrouvions donc tous là, le management des sociétés ainsi que la presse, à discuter et ne pas dormir de tout le vol. Cette année là c’était à Chicago, dont l’aéroport à la particularité d’être grand et avec des couloirs interminables. Alors que nous discutions tous devant la porte de l’avion, l’on entend dans les H.P. de l’aéroport, ‘Mr Laurant Weill est demandé à la police, Mr Weill est demandé à la police immédiatement’. Et Bruno Bonnel (patron d’Infogrames/Atari) et quelques autres de dire suffisamment fort que je n’avais pas assez planqué la poudre blanche, qu’ils penseraient aux oranges etc.. etc.
Bref le reste des passagers du 747 me regardaient comme un seul homme. Je cours donc à la police à l’autre bout de l’aéroport, alors que l’avion embarquait les passagers. Là me reçoivent, dans une petite pièce, 3 baraques armés. Ils me montrent ma valise du doigt et me demande si j’en étais le propriétaire. Puis m’ordonnent fermement de l’ouvrir, tout en reculant de 3 pas, la main toujours sur le pistolet. Je me demandais vraiment si quelqu’un avait pu mettre quelque chose de douteux dans ma valise,… mais non, c’était mon rasoir qui s’était mis en route et qui faisait vibrer légèrement la valise dans un bruit sourd.
…Et je me souviens du reste du vol avec les commentaires confraternels sur mes activités suspectes, et tous ces passagers qui me dévisageaient.
J’ai été par contre désespéré de voir que l’industrie française du jeu vidéo, qui n’a pas été aidée quand il le fallait, et surtout qui a fait de nombreuses erreurs, ne tient plus le rang qui était le sien dans les années 80-90, un vrai gâchis. Des talents qui sont partis ou sont passés à autre chose, mais le plus souvent de ce qu’ils me disent, à regret.
Pourtant cela ne fonctionnait pas, toutes les nuits à minuit 10 environ tout plantait. Après un mois d’ingénieurs sur place, de remplacement de toutes les composantes de la machine, n’ayant rien trouvé, ils ont fait appel à mon Irlandais, grand buveur de Guiness. Il arriva à 16h demanda une chaise et pris 2 cartons de bières, sans même regarder les consoles. Devant les regards ébahis des tous les ingénieurs, le temps passa ainsi. Il resta seul sur son siège jusqu’à la nuit venue et vers minuit la femme de ménage fit son entrée avec l’aspirateur, cherchant une prise elle débrancha celle se trouvant devant elle, pour y brancher son aspirateur, sans se soucier des petites lumières qui un peu partout s’éteignaient doucement.
Mon irlandais eu une grosse berline en cadeau pour avoir passé quelques heures à boire de la bière…
Une bien belle et précieuse interview
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