Par la suite, mon obstination a essayer de comprendre les mécanismes qui permettent aux choses d’être “interactives” a finalement pris le dessus et c’est vers la technique que je me suis tourné. Après une dizaine d’année ou j’ai œuvré comme créateur indépendant de jeux vidéos sur micro-ordinateur pour des compagnies comme France Logiciel ou Ubi Soft (Fer & Flamme, B.A.T), j’ai finalement créé ma propre compagnie avec mes coéquipiers de l’époque : Haiku Studios, principalement tourné vers le support CD-ROM et ses capacités de stockage extraordinaires pour l’époque.
Nous avons ainsi réalisés des jeux très audiovisuels pour des acteurs majeurs de l’industrie comme Philips Media, Virgin ou encore Sony / Psygnosis. La contraction de la fin des années 1990 ayant eu raison d’Haiku (et d’ailleurs de pas mal de compagnies de jeu vidéo en France), je me suis donc porté vers la réalisation de logiciels orientés auteur et principalement d’outils de Storytelling. Par exemple je fus coauteur de la technologie Mendel3D pour la compagnie Duran Duboi (utilisée dans une suite Internet pour les développeurs web, un jeu vidéo de course de voiliers : le premier virtual skipper, et un outil de storyboarding 3D pour le film d’Enki Bilal “Immortal, ad vitam”).
Plus récemment, je fus cofondateur de la compagnie xtranormal ou j’ai dirigé la recherche et le développement de la technologie en ligne Text-to-Movie qui permet de produire très facilement des petits films en écrivant simplement des dialogues. Je travaille actuellement pour Behaviour Interactive – une compagnie indépendante de jeux vidéos en tant que directeur technique pour des jeux en ligne. Je participe ainsi a la création de mondes virtuels massivement multijoueurs, principalement pour les enfants.
Il y a quelques années, j’ai décidé de voyager un peu puis de me poser au Canada, ou je vis actuellement avec ma compagne et mes deux petites filles. C’est un choix que je ne regrette pas, le Canada et plus particulièrement le Québec est un pays merveilleux qui a su encore gardé un esprit pionnier, un esprit qui convient tout a fait a ma personnalité.
Hervé Lange -Fer et Flamme, BAT, Le Bagne de Nepharia-
Je me rappelle que Philippe avait sorti son calepin pour noter mon adresse et que ce dernier était rempli d’une multitude de noms. Je me suis dit que j’avais pas mal de concurrence. J’ai travaillé comme un fou pendant mes vacances scolaires et j’ai sorti “Le secret de Kaipur” : un jeu d’aventure textuel mais avec des graphismes vectoriels sur Oric 1 puis Atmos. Lorsqu’on s’est revus avec Philippe en Septembre, j’étais a peu près le seul a avoir fait quelque-chose, et pour signer le contrat je lui ai amené le listing du jeu complet pour preuve ! On a terminé le jeu ensemble (un de mes meilleurs souvenirs de cette époque) et même si on en a vendu que 500 exemplaires, j’étais content et je pouvais m’acheter un moniteur couleur ! J’avais aussi gagné un ami. Par la suite c’est Philippe qui a acheté un Amstrad CPC et me l’a refilé pour que je lui fasse un autre jeu : c’était le “Bagne de Népharia”.
Mon premier micro fut un Oric 1, en réalité celui de mon frère qui l’avait acheté mais ne l’utilisait pas. Mon premier programme sur cette machine ne fut pas un jeu, mais un logiciel qui permettait de visualiser la navette spatiale sous toutes les coutures avec quelques commandes interactives. Puis, pour amuser ma grande sœur, j’ai écrit des jeux.
L’Atari ST venait de sortir et offrait de nouvelles possibilités graphiques et sonores, j’ai eu l’idée de BAT et donc j’ai changé de plateforme.
Sur le plan technique et contrairement par exemple a l’Amiga, le CPC n’était pas la meilleure machine (faire un scrolling fluide restait un défi), et même décevant au niveau audio. Mais tout était la et sa forme intégrée (moniteur + ordinateur) était révolutionnaire et conférait un caractère inédit quasi-incarné a ce micro-ordinateur. Finalement, venant du 6502 la découverte du Z80 et de ses possibilités fut comme une bouffée d’oxygène, la transition parfaite du 8 bit vers les systèmes 16 bits qui s’en venait.
Il y a eu :
- Le Bagne de Nepharia, 1985 – France Logiciels.
- Fer & Flamme, 1986 – Ubi Soft.
- L’Anneau de Zengara, 1987 – Ubi Soft.
- B.A.T, 1991 – Ubi Soft (excellent portage fait par Tim McCarthy de la version Atari ST).
Me concernant, j’écrivais beaucoup les idées et la structure du jeu dans des cahiers. Puis je me lançai dans la programmation et la création du contenu de manière décousue, sans véritable organisation jusqu’à ce que cela soit fini. Il m’arrivait de passer des journées entières a coder ou a réaliser des graphismes, d’autre ou je ne faisais rien. Il m’est arrivé de travailler d’affilé 19 heures une journée, sans manger ou dormir. Je vivais chez mes parents, j’étais étudiant et cela les inquiétait un peu mais je me débrouillai toujours pour avoir des résultats scolaires honorables.
En 1986, après avoir passé mon bac je suis rentré dans une grande école d’électronique assez loin de chez moi et je devais me lever très tôt le matin. Je me couchait vers minuit pour avancer mon jeu et me levait vers 5 heures du matin pour aller a cette école, quelle forme j’avais a cette époque!
Pour les graphismes justement j’ai pas mal utilisé l’excellent Lorigraph sur 464, puis un peu OCP sur 6128.
Anecdote :
Je me suis juré par la suite de ne faire que de l’assembleur pour mieux maîtriser les ressources du système.
Le jeu ne tenait pas également sur les deux disquettes ! j’ai du changer le formatage des secteurs et des gaps a la limite de l’acceptable pour que tout rentre. je me rappelle être aller voir le duplicateur au dernier moment pour lui expliquer mon formatage et qu’il règle ses machines.
Sur un plan plus général, je reste émerveillé par le niveau de complexité que l’informatique a pu atteindre. Mais d’un autre coté, cette complexité sclérose selon mon opinion un peu le plaisir que nous pourrions avoir a travailler avec une telle puissance. On programme maintenant moins proche du silicium et plus dans l’abstraction du logiciel (et de plus en plus) – notamment par l’avènement de la programmation orientée objet. En soi il n’est donc pas anormal qu’on ressente moins d’attraction pour les machines modernes, on se sent plus proche peut-être des OS. A l’époque, une nouvelle machine hétéroclite sortait toute les semaines : qui se rappelle du Jupiter ACE que l’on programmait en Forth, ou du MO5 ou du Squale ?.
On travaillait proche de ces “petites” machines, il se créait un lien fort et quasi affectif avec elles. L’architecture électronique et le langage de programmation primaient, l’OS était anecdotique. J’imagine que c’est le déroulement historique et logique des innovations, que les premiers créateurs d’automobiles ou d’aéronefs on vécus la même cristallisation de la passion en industrie – un peu au détriment de l’esprit pionnier.
Il y a l’Indie, la plateforme Steam, le Web et les iPhone / Android qui donnent la possibilité d’un contact direct entre les créateurs et les joueurs et plus de prise de risque… Angrybird et Minecraft sont des exemples, alors a vos claviers mesdames messieurs!
Une bien belle et précieuse interview
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