Brice Rivé (programmeur) et Laurent Boucher (graphiste) sont les auteurs sur CPC des jeux EXIT et Defender of The Crown, tous 2 sortis chez Ubi Soft pendant les années 80.
Probablement par la magie d’un moteur de recherche, Brice Rivé s’est inscrit il y a peu sur un forum CPC français (cpcrulez pour ne pas le citer) et j’ai lâchement profité de l’effet de surprise pour proposer à Brice une interview à laquelle Laurent s’est joint, les 2 compères étant en effet toujours en contact.
Ils ont joué le jeu pour notre plus grand plaisir.
[Laurent] J’ai 49 ans, découvert l’électronique à 15 ans, la programmation avec la TI58 à sa sortie, le Basic sur un Logabax 500, puis sur un Sharp PC1211. J’ai loupé le virage HP car les fans de la notation polonaise inverse étaient quand même moins fêtards que les autres. L’assembleur, ce sera donc pour plus tard… Carrière de développeur et de formateur en informatique. Développe des applis web depuis la fin des années 90. Ma plus grande peur informatique : perdre des archives . Ma plus grande joie : retrouver l’info en deux clics.
[Brice] J’ai 47 ans. J’ai eu ma première machine le ZX81 en 81. Depuis, j’ai pas arrêté de coder. Sinon, dans la vrai vie, je fais de la R&D en “machine vision”.
[Brice] J’avais déjà fait un petit jeu sur ZX81 chez Ère Informatique (NDLR : Surfix) et je voulais continuer. Philippe Ulrich m’avait poussé vers le CPC en me montrant les maquettes de deux productions de l’époque chez Ère (Crafton et Xunk et Eden Blues. J’ai encore les disques). Je cherchais un comparse qui puisse assurer les graphismes et Laurent était exactement ce qu’il me fallait en plus d’être un super pote.
Par contre, comme Laurent connaissait les Guillemot on est passé chez Ubi.
[Laurent] Vaste question. Nous avions tous deux envie de faire un jeu d’aventure, avec un peu “d’arcades”. A l’époque, les influences étaient nombreuses, de Fluide Glacial aux auteurs de science fiction. Le cinéma du début des années 80 était très libre. Nous n’avions pas forcément une grande culture à l’époque, mais on était quand même déjà bien marqués par nos lectures respectives : Starfix, Métal Hurlant… On s’est vite apperçu qu’on était tous les deux créatifs. Il ne restait plus qu’à mélanger l’eau et l’huile 🙂.
[Brice] Impossible de démêler EXIT de nous deux. Je sais plus du tout qui a pensé quoi, ça venait vraiment de la dynamique entre nous deux. La seule chose qui est pas de nous, c’est la musique que Claude, le frère de Laurent, nous a donnée.
[Brice] Marrant, je me souviens pas du tout de la même histoire. Pour moi, la première (la moins belle avec un gars debout) avait été faite indépendamment par un graphiste d’Ubi (comme ça se faisait toujours à l’époque).
Laurent avait trouvé qu’elle était assez moche et s’était attelé a faire mieux. Il a pondu la seconde (la plus belle qui reprend le feeling des graphismes du jeu) en deux coups de cuillère à pot et c’est celle là qui a été utilisée par la suite.
[Laurent] Je n’ai plus jamais fait de jeux vidéos par la suite. J’avais pourtant envie de continuer, mais j’avais surtout besoin de gagner ma vie 🙂 C’était l’époque du PC et je me suis tourné alors vers le logiciel d’entreprise, toujours en Freelance (NDLR : travailleur indépendant).
[Brice] Idem pour moi. Après DotC, j’ai aidé Ubi avec quelques protections sur CPC (NDLR : Skateball, Omeyad, Le maître absolu) mais je n’ai plus fait de jeu. Dur de gagner sa vie dans ce business.
[Brice] Je me souviens pas de comment Ubi s’est débrouillé mais, comme dit Laurent, on a bondi sur l’occasion de (re)faire un jeu aussi beau et célèbre.
Ubi a commandé les images à la star des hackers ST de l’époque (NDLR : “Tsuno”). Il a récupéré les fichiers image bruts. C’était super moche une fois converti sur CPC, mais les trames étaient là. Ubi m’avait aussi prêté un Atari ST pour que je puisse travailler avec un modèle sous les yeux. J’ai utilisé OCP Advanced Art Studio.
16 couleurs parmi 27, c’est féroce en effet. D’un autre côté, les choix de palette sont vite faits. Depuis EXIT, je connaissais déjà très bien les combinaisons qui flashent et quelques effets typique du CPC et de son écran. Tout a été un long travail de retouche. Je ne m’arrêtais que lorsque Brice flashait sur une image. Si le commentaire était simplement positif, cela signifiait qu’il y avait encore du travail. L’oeil de mon frère était là aussi, impitoyable. C’est lui qui avait composé la musique de EXIT à l’époque. Il n’est pas crédité dans le jeu, pas très sympa de ma part ^_^.
[Brice] pour le code, c’était Pyradev. Au niveau du code, on a rien eu du tout. Juste la photocopie d’un article qui décrivait un peu les ficelles de la simulation, et un ST avec le jeu pour l’apprendre sur la bête.
C’était pas très efficace mais le côté challenge a sûrement joué dans le bon sens.
[Brice] Non. Je ne sais pas quand ni par qui la version Spectrum a été faite mais on a pas communiqué.
[Brice] Mort de rire. Trop cruel. Je sais pas si c’est efficace mais ça doit défouler.
[Brice] Pour EXIT, j’étais très sensible à l’accueil parce que c’était notre jeu. Pour DotC, je ne souviens pas tellement d’avoir suivi. Je savais que c’était du bon boulot. Et puis on était pas intéressé financièrement puisqu’on avait abandonné le modèle des royalties après l’échec commercial d’EXIT.
[Brice] pareil.
[Laurent] Nous n’avons pas été dans le château. Nous étions plus âgé que la moyenne des développeurs de l’époque. On avait un peu bataillé avec Ubi pour les 3 chantiers et notre binôme se dissolvait : Brice attaquait sa carrière d’ingénieur et j’attaquais la vie de développeur de soft freelance.
Je connaissais bien les gens d’Ubisoft. Les fondateurs sont des copains d’adolescence, une partie du staff était aussi composée de connaissances. Nous avons eu à négocier chacun de nos travaux : EXIT, Defender of the Crown et EXIT K7. C’était intéressant, on apprenait le métier. Nous avons été quelques fois maladroits. Je me souviens très bien de l’ambiance des réunions de négociation : Super sympa, on se fait la bise, donne des nouvelles de la vie, des copains, des copines, de la dernière fête, etc…
[Brice] Euh… si on y est allé. On a passé une soirée là-bas. On a visité les chambres des développeurs et on a dîné avec toute l’équipe. C’était super beau, complètement potache et très sympa. Après dîner ils ont joué à cache-cache comme des mômes dans les couloirs secrets et dans le noir. Très gothique.
Pour ce qui est de bosser avec UBI, j’avoue que c’était une expérience géniale. Les frères Guillemot étaient vraiment pros (surtout pour l’époque) et sympa en même temps.
[Laurent] C’est juste. Ptite visite de courtoisie en effet, mais nous n’y avons jamais travaillé. On a pu juger de l’ambiance un peu jeune et de l’encadrement 🙂
[Brice] Moi non plus. J’y ai beaucoup joué pour le faire mais le vrai attrait était pour le côté cinéma plus que le jeu en lui-même.
[Brice] Laurent, fais pas la gueule. Je sais que j’ai mis un bug au dernier moment qui fait qu’on les voit presque jamais mais j’ai pas fait exprès.
[Brice] Hmmm. J’ai pas entendu la question. Pour les sons, c’est vrai qu’on aurait eu besoin d’un peu d’aide. Tout le code était là mais on n’a pas eu le temps de créer le contenu.
Ce que j’ai vu par contre dans ce jeu, c’est qu’il était beau. Il valorisait le travail des graphistes grâce aux possibilités des machines. Le premier jeu à le faire ne pouvait qu’être repéré et marquer à jamais l’histoire. C’est ce qui est arrivé à Defender. Bon, je ne sais pas si j’ai vraiment répondu à la question 🙂
[Brice] C’est vraiment un jeu 16 bits dans le sens où il avait beaucoup plus de contenu que les autres. D’où le challenge de le faire tourner sur 8bits.
[Brice] Les connaissant, ils ont toujours été très lucides sur le marché. La preuve, ils sont les seuls encore en vie.
Pour Defender, je pense qu’il avait une belle vie commerciale en autonome 🙂 Là encore, ce sont des informations commerciales. Nous ne savons pas répondre à ces questions, et nos avis sont pleins de réserves 🙂
[Brice] C’est vrai qu’on ne sait pas grand’ chose au niveau commercial.
[Brice] Je suis passionné par la programmation et je suis un piètre artiste. Le jeu évoluant de plus en plus vers le cinéma, la place pour la programmation est devenue de plus en plus insignifiante. Aujourd’hui je programme toujours des choses qui me passionnent. La seule chose que le jeu avait à cette époque et qui me manque, c’est la visibilité.
[Brice] Je les connais pas. Je vais essayer. En tout cas, dans le principe, je trouve ça génial et je comprends parfaitement l’intérêt. Programmer en assembleur et sur un système comme le CPC est très différent et très formateur.
Personnellement, je suis prêt à donner mes archives, mais Ubisoft aurait-il son mot à dire ?
[Brice] J’ai pas tout suivi mais j’ai vu le remake de R-Type qui m’a époustouflé. Je vais essayer les autres.
[Brice] J’aurais jamais cru que c’était possible de trouver un réel marché. Mais c’est une excellente niche.
[Brice] Non, je pense qu’on a fait notre part de ce chemin. Je crois que, tant qu’à donner du temps on fait mieux de travailler dans les archives.
Le format de disquette est un format “Brice”, physiquement lisible par un CPC mais incopiable par une machine de série. Brice a utilisé une particularité du contrôleur de disquette, qui pouvait lire des formats qu’il ne pouvait pas reproduire, à moins d’être bidouillé. Bref, on a travaillé sur des machines “kitées”. Je souris d’émotion en me rappelant cette époque. Lors de la sortie du jeu, la société chargée de la duplication nous a contacté : ils n’arrivaient pas à copier le BAT (“bon à tirer”).
Brice, tu as été appelé sous les drapeaux juste avant la sortie de Defender CPC. Tu as fait le forcing pour boucler le chantier avant d’endosser l’uniforme. Au début de tes classes, tu as fait sauter les derniers bugs à partir d’une cabine téléphonique de ta caserne : J’étais à l’autre bout du fil, sur ton Pyradev, je lisais l’écran à haute voix et tu me dictais les corrections ! Bonjour les sueurs froides chez Ubi. J’en frémis encore.
[Brice] J’ai tout vidé mon sac.
Petit bonus de cette interview. Un dossier avec des sprites, les codes sources, …
Une bien belle et précieuse interview
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