Alain Brégeon est le génial programmeur du jeu Le passager du temps. Il a réalisé ce jeu avec Patrick Beaujouan. Un jeu qui est resté pour beaucoup une référence du jeu d’aventure.
Bonjour Alain, mille mercis d’accepter cet entretien, je suis réellement ravi de pouvoir poser quelques questions à l’auteur du soft qui m’aura pris le plus de temps sur CPC ! Le « passager du temps » aura connu un grand succès sur CPC au même titre qu’un SRAM ou un Manoir de Mortvielle, et il continue encore aujourd’hui de faire parler de lui. Le compagnon félin présente d’étranges similitudes avec celui de Gaston Lagaffe.
Ce chat qui nous accompagne dans l’aventure présente l’avantage de nous aider (parfois) et de nous faire rire (souvent). Comment expliquer sa présence ? Une volonté d’aider le joueur ?
Le reproche que je faisais à l’époque à la majorité des jeux d’aventures était qu’il n’y avait aucune aide et qu’il n’y a rien de plus frustrant, voire décourageant, que de rester bloqué faute de trouver l’astuce souhaitée. Le principe de l’aide est donc venu rapidement, aide à deux niveaux pour ne pas non plus tomber dans la facilité.
De plus, nous avons mis un point d’honneur à lui trouver une attitude ou à lui faire faire des jeux de mots à chaque nouvelle étape. On le retrouve avec une bosse lorsqu’il a le hoquet, avec un bandeau lorsqu’on rencontre les pirates, donnant parfois de fausses informations (l’armoire électrique par exemple à laquelle il ne faut surtout pas toucher), vous n’avez pas échappé à tous les jeux de mots autour du chat, chat peau, chat tôt, chat pitre, chat meau, chat pelle, etc avec un petit clin d’œil au passage lorsqu’il est remplacé par un crocodile dans les marécages en reproduisant le logo Amstrad.
La collaboration avec Patrick Beaujouan s’est faite en deux temps. Il faut pour cela revenir un petit peu en arrière. Ma carrière ordinateur grand public a commencé avec l’arrivée du Sinclair ZX81 qui est arrivé sur le marché sans aucun périphérique.
Ma formation technique m’a amené à créer une interface sonore, une interface graphique, de la mémoire etc que j’ai commercialisés après avoir monté mon entreprise de fabrication. L’aventure s’est prolongée avec l’Oric et le Spectrum et s’est arrêtée à l’arrivée de l’Amstrad.
C’est à cette époque que Patrick Beaujouan m’a contacté pour savoir si je pouvais l’aider à commercialiser un jeu qu’il avait écrit en Basic, Carson City. Pendant que je réécrivais entièrement Carson City en assembleur, Patrick Beaujouan faisait les différents dessins. Carson City (http://abregeon.free.fr) a été diffusé sur Spectrum et sur Amstrad.
Parallèlement à cela, j’écrivais dans une revue qui paraissait à l’époque, à vocation technique, Microsystèmes, et ils ont publié deux de mes réalisations sur ZX81, un jeu de bowling et surtout ce qui était l’ancêtre du Passager du Temps, un jeu d’aventure entièrement texte, la maison du professeur Folibus.
C’est donc tout naturellement qu’après notre première expérience de Carson City, j’ai eu envie de faire un jeu d’aventure graphique avec Patrick Beaujouan, devenu ami.
Personnellement, je n’ai fini le jeu que très récemment (je l’avais commencé il y a 15 ans ^^). Y a-t-il des salles ou des astuces cachées qui ne sont évoquées nulle part dans les solutions que l’on peut trouver sur le net ?
Il y a un endroit caché, que l’on trouve avec certaines solutions, c’est pratiquement à la fin du jeu, le camp de nudiste avec une femme nue allongée sur la plage et écoutant la radio. Ceux qui arrivent là ne peuvent pas repartir.
Il y a également la gestion des gros mots qui n’apparaissent pas bien entendus dans les solutions avec un apprentissage d’anglais au-delà du 3eme gros mot puisqu’on apprenait au joueur que “quel joli pied” se traduit par “What a fair foot” (va te faire foutre).
Il y avait déjà à l’époque un système anti-piratage et nous testions l’originalité de la disquette lors du démarrage de la machine à remonter le temps. Lire la solution vous fait également passer à côté d’une excellente recette de cuisine donnée par un programme se trouvant dans l’ordinateur du bureau.
Vous échappez également à la gestion du courant fourni par le groupe électrogène (il faut penser à éteindre la lumière en remontant du sous-sol) et vous n’avez pas le plaisir de chercher le code demandé dans l’ascenseur. Vous avez dû noter qu’il n’y a pas d’inventaire dans ce jeu, la flemme, uniquement la flemme, mais finalement, on se débrouille très bien sans.
Autres anecdotes concernant certains noms qui sont des anagrammes de nos épouses (l’île de LOE’NIC qui est Nicole, la princesse ENALIE qui est Eliane, le portrait de cette princesse étant en réalité le portrait de Nicole).
Ce jeu est riche, avec un graphisme coloré et proche de la BD, et un analyseur syntaxique assez évolué. Pouvez-vous nous en dire plus quant à la réalisation d’un tel jeu, par exemple les outils utilisés ?
Pour les graphiques, on ne peut que tirer notre chapeau à Patrick Beaujouan, car il n’existait qu’un logiciel de dessin, si je me souviens bien, et les dessins ont tous pratiquement été faits pixel par pixel. Se posait également le problème de la palette de couleurs, car nous ne pouvions utiliser, je crois, que 16 couleurs parmi 256, c’était peut-être même moins que cela, d’où les yeux verts du chat dans le sous-sol ou sa truffe orange dans le souterrain…
Pour le code, j’utilisais un assembleur et il valait mieux ne pas oublier de sauvegarder avant de lancer le jeu, les plantages étaient mortels. Pour l’analyseur syntaxique, je dois avouer que je suis assez fier de moi et je regrette qu’aujourd’hui tout se passe à la souris. Ça enlève un peu du charme de ces jeux d’aventures ou il fallait non seulement résoudre les intrigues, mais également trouver le vocabulaire approprié.
De notre côté, nous devions essayer d’imaginer tous les mots que le joueur serait tenté de taper pour éviter un découragement trop rapide. L’inconvénient étant qu’il fallait être bon en orthographe (et on retrouve un autre inconvénient avec les émulateurs actuels qui est le clavier azerty de nos pc alors que le clavier de l’Amstrad était qwerty.)
Oui, Carson City, déjà nommé plus haut. Patrick beaujouan a de son côté profité du moteur développé pour Le passager du temps pour faire en solo un autre jeu d’aventure (historique dont le nom m’échappe), d’autres raisons nous ayant séparés et éloignés à ce moment-là.
Oui, il y a eu une traversée du désert d’une dizaine d’années, ou je n’ai pas abandonné l’informatique, mais le développement, avec malgré quelques tentatives de refaire un remake du passager du temps en C sur PC qui n’ont jamais dépassé le premier niveau (l’extérieur avec la poubelle, le journal et la clé qui tombe).
Puis découverte en 2000 d’un moteur 3D, produit germano-américain dont je suis tombé amoureux au point de m’investir dans la traduction de toute la documentation et de créer des ateliers pour créer des jeux avec ce moteur (atelier pour faire un jeu en 2D, les bases de Carson City, atelier pour faire un jeu de combat et trois ateliers sur les jeux en réseau). J’anime depuis un forum dédié au développement de jeux 3D avec différents moteurs.
Il fonctionne, normalement, bien que je ne m’en serve plus, mais mes enfants m’ont longtemps tanné pour jouer au passager du temps. Le problème étant que la protection sur les disquettes a mal résisté au temps et que le logiciel me taxe moi-même d’être un pirate, le comble !
Cela peut paraître paradoxal, mais je ne me suis jamais trop intéressé aux jeux. Je n’ai pas de console, ceux qui me passionnent quelques fois sont des RTS (Command & Conquer et autres Alertes Rouges) et un qui me titille en ce moment, car il me rappelle Le passager du temps, c’est Westerner.
Ça, c’est la question qui tue, car c’est ce que je souhaite le plus au monde. Seul c’est impossible, d’autant que si je suis toujours bon en programmation, je suis toujours aussi mauvais en graphisme et en modélisation (car si suite il y a, elle sera 3D bien entendu). Le projet a été réactivé il y a quelques semaines après avoir joué à la démonstration de Westerner. Mais je crains que le chemin soit long et parsemé de nombreuses embûches.
Avez-vous une anecdote ou une petite histoire étonnante à propos de votre travail sur CPC ?
Par rapport au CPC non, mais par rapport au Passager du temps oui. Peut-être, vous souvenez-vous de ce que dit le chat lorsqu’on arrive dans le village papou ? “J’en connais une bonne sur les papous… Mais l’auteur ne va quand même pas oser”
Pour ceux qui connaissent les BD de Franquin, je pense qu’ils ont tout de suite compris, les autres sont restés sur leur faim. Donc voici l’histoire : “chez les papous, il y a des papas. On a donc des papous papas, des papous pas papas, des papas papous et des papas pas papous. Il y a également des poux. Des poux papas, des poux pas papas et des papoux papas à poux papas, des papas à poux pas papas, des papoux pas papas à poux papas, des papoux pas papas à poux pas papas, des papas pas papous à poux papas, des papas pas papous à poux pas papas etc.”
Merci infiniment Alain d’avoir accepté de répondre en toute simplicité à ces quelques questions ! Je suis toujours surpris de voir que les gens ayant travaillé sur Amstrad, il y a 15 ans, sont aussi enthousiastes d’en parler ! Je vous laisse le mot de la fin, à vous de conclure 🙂
Ma conclusion sera une réflexion personnelle sur les émulateurs. Lorsqu’un de mes fils m’a appelé pour me dire qu’il avait trouvé le Passager du temps sur le Web, qu’il l’avait chargé et qu’on pouvait jouer avec, mon sang n’a fait qu’un tour. Comment des gens ont-ils osé mettre un logiciel qui ne leur appartient pas, sans l’accord des auteurs et surtout sans reverser le moindre centime ?
Et puis j’y ai joué, ce que je n’avais pas fait depuis plus de 10 ans, j’ai été heureux de le montrer à mes derniers enfants (j’en ai 5) trop jeunes pour avoir connu l’Amstrad (les premiers beaucoup plus grands l’ont connu) et là, j’ai complètement changé d’avis. Merci à ceux qui entretiennent les souvenirs, qui participent à l’enrichissement du patrimoine informatique, qui permettent aux nouvelles générations de découvrir ce qui a fait rêver leurs parents. Au-delà de la nostalgie, il y a, je pense, un devoir de mémoire. Je suis donc heureux que des sites comme le vôtre existe, longue vie à lui.
Une bien belle et précieuse interview
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