Christophe Lajoux • Infernal House, Silva

PROLOGUE
Christophe LAJOUX est l’auteur d’une série de jeux d’aventures extraordinaires sur Amstrad CPC : « INFERNAL HOUSE » publié par la société LANKHOR en 1991 puis, sa suite « SILVA » en 1992, toujours édité par LANKHOR.

Dans « INFERNAL HOUSE », parti pour enquêter sur la disparition mystérieuse de votre petite copine journaliste du moment, qui a eu le malheur de s’intéresser de trop près à l’une de vos anciennes affaires de détectives, dont l’histoire même cinq ans plus tard, vous fait trembler d’effrois, vous allez être amené dans un manoir où les découvertes que vous allez faire, dépassent l’entendement…
Et le « merveilleux » se retrouvera dans « SILVA » pour notre plus grand bonheur de passionnés de jeux d’aventures que nous sommes, où votre enquête, directement liée avec les mystères que vous avez découverts dans le manoir du professeur Tcherslawsky. Il vous conduira à sauver le genre humain, dans une ambiance et une atmosphère où la frontière entre le rêve, la réalité et le fantastique n’existe plus.
LANKHOR a signé avec ces deux titres, deux merveilles de jeux d’aventures sur nos machines. Car si les scénarios d’« INFERNAL HOUSE » et de « SILVA » sont de véritables réussites, le talent de programmateur de Christophe LAJOUX a permis à cette série de se démarquer, et de loin, des autres jeux d’aventures du genre.
Explications… que voici ! Christophe LAJOUX, que nous remercions énormément pour sa cordialité, sa disponibilité et sa grande gentillesse, nous a accordés cette interview exclusive qui, nous n’en doutons pas, va vous épater !

Bonjour Christophe, quel plaisir de pouvoir interviewer le programmateur “d’Infernal House” et de “Silva”, cette série d’aventures époustouflantes en deux épisodes sur Amstrad CPC. Pour “PhenixInformatique” pouvez-vous vous présenter et nous dire comment vous en êtes arrivé à programmer sur Amstrad, ces jeux d’une richesse rarement égalée sur CPC ?!

Bonjour, avant toute chose, je tiens à vous remercier pour cette interview qui ranime en moi d’excellents souvenirs d’une époque malheureusement révolue. Je me nomme Christophe Lajoux, je viens d’avoir 40 ans. Je me suis intéressé à l’informatique dès l’âge de 12 ans (soit en 1982) et plus particulièrement, à cette époque, aux jeux vidéo.
Ma première console de jeux fut d’ailleurs un Vectrex avec ses excellents jeux vectoriels. L’élément déclencheur a été lorsqu’une personne m’informa qu’il existait des appareils nommés ordinateurs qui permettaient de réaliser ces fameux jeux vidéos de café à l’aide de lignes de programme. Plus tard, je fis l’acquisition d’une Mattel Intellivision, ainsi que d’un étonnant module micro-ordinateur qui permettait de réaliser des mini-programmes basés sur des Bureaux secretcomposants provenant directement des cartouches de jeux de la console. Ce fut le début de ma passion.

À 14 ans et avec mon premier Amstrad CPC 464 (puis de son successeur, le CPC 6128), je décidai de concevoir Infernal House.

Christophe Lajoux

J’adore les introductions qui vous mettent pleinement dans l’ambiance de jeu. Celles d’Infernal House et de Silva sont de véritables réussites tant par leur scénario, à l’intrigue déroutante des graphismes : digitalisés et animés, et cette musique… à couper le souffle. Quels sont les logiciels avec lesquels vous avez procédé pour en arriver à ces résultats impressionnants ?

La programmation des jeux Infernal House et Silva a été réalisée en Locomotive Basic et Assembleur Z80 ou devrais-je plutôt dire en langage machine. En effet, à cette époque, j’étais assez fanatique pour encoder les instructions directement en hexadécimale sans même utiliser de logiciel d’assemblage. J’écrivais les programmes en assembleur sur papier, puis les traduisais en langage machine.
Au début, j’utilisais une table de conversion, et à force, je traduisais les instructions de mémoire tout à fait naturellement. La saisie du code machine se faisait directement sur disquette à l’aide d’un utilitaire nommé Discology. Quelle folie en y pensant aujourd’hui ! Mais n’oublions pas : Internet n’existait pas, il y avait très peu de documentation technique et à peine quelques magazines…
En résumé, nous étions seuls avec notre défi. On peut donc pardonner quelques maladresses. Toutefois, la programmation de Silva a été effectuée avec un assembleur quelque peu adapté par mes soins. D’un point de vue graphique, nous utilisions Art Studio pour la conception des images. Enfin, pour la musique de Silva, on se servait de l’excellent séquenceur Equinoxe, élaboré par Alain Massoumipour.

Le scénariste de la série, Thierry Port et Momo : les graphistes d’Infernal House, puis Philippe Beysang pour ceux de Silva. Comment vous êtes-vous organisés ? D’autant plus qu’internet n’existait pas encore à cette époque… Avez-vous eu des influences sur le scénario ? Des petites anecdotes à raconter…

L’idée principale d’Infernal House était d’avoir la liberté de faire un maximum d’actions dans un manoir recelant de nombreux secrets à découvrir. En voyant que le projet prenait forme, il fallait un scénario digne de ce nom.
Jérôme a toujours été quelqu’un d’inventif, aussi a-t-il dû concevoir une histoire autour d’un projet technique pratiquement finalisé. Nous étions une bande de copains passionnés et chacun apportait sa pierre à l’édifice sans contrepartie particulière. Momo (Yvan Monari) et Thierry ont apporté une aide considérable pour la conception des images d’Infernal House.
Philippe est venu plus tard et est à l’origine de la quasi-totalité des écrans de Silva, il a participé également pour une bonne partie à la programmation en assembleur. À vrai dire, nous étions multifonctions, aussi les scénarii d’Infernal House et Silva ont été enrichis par nous tous. Nous nous réunissions après les cours (parfois même pendant les cours) et les week-ends pour mélanger nos idées, puis chacun avait “ses devoirs”. Enfin, on centralisait ce que les uns et les autres avait fait de concret et ainsi de suite jusqu’à l’aboutissement final du jeu. En réalité, nous pratiquions de la gestion de projet sans le savoir.

Infernal House, images et croquis

Laboratoire au sous-sol.

Infernal House, images et croquis

Laboratoire au sous-sol.

Infernal House, images et croquis

Piece mortuaire.

Infernal House, images et croquis

Pièce mortuaire.

Infernal House, images et croquis

Pièce transitoire.

Infernal House, images et croquis

Pièce transitoire.

Infernal House, images et croquis

Salon.

Infernal House, images et croquis

Salon.

Infernal House, images et croquis

Le laboratoire.

Infernal House, images et croquis

Le laboratoire.

Infernal House, images et croquis

Hangar souterrain.

Infernal House, images et croquis

Hangar souterrain.

Infernal House, images et croquis

Salle De Cryogénisation.

Infernal House, images et croquis

Salle De Cryogénisation.

Laurent Hiriart vous a secondé dans la programmation d’Infernal House. Quel a été son rôle ?

Laurent ne m’a pas aidé directement sur la programmation de l’Amstrad, mais il a été, pour les deux projets, un catalyseur sans précédent. En effet, il possédait un Thomson TO7-70 (sur la base donc d’un processeur Motorola 6809), l’assembleur et sa programmation constituait également sa passion. Aussi, nous nous lancions régulièrement des défis de programmeurs en repoussant sans cesse à l’extrême les limites de nos machines respectives. Comme par exemple l’idée d’afficher simultanément les 16 couleurs disponibles dans une résolution n’en autorisant que 2 (sous certaines contraintes bien entendu).
Dans ce programme, nous en étions à calculer le nombre de NOP (No Operation) nécessaires et à les placer judicieusement dans le code afin de réaliser une sorte de pause pour afficher surnaturellement l’ensemble des couleurs dans une image “haute résolution” (en mode 2, soit 640×200 !) et sans aucun parasite. Régulièrement, Laurent me montrait ses toutes dernières démos basées principalement sur la gestion 3D (sur un TO7 tout de même !). D’ailleurs, aux dernières nouvelles, il travaille sur l’optimisation de moteur 3D utilisés par les grands studios actuels.

Infernal House et Silva auront également marqué les jeux d’aventures sur CPC par leur interface intuitive avec un système d’icônes original où la moindre action a son impact à l’écran. Il nous est possible de tout faire, avec pour notre plus grand bonheur des animations nombreuses comme par là, un hérisson qui passe, une souris qui court, un Ovni qui trace dans le ciel. Une volonté ambitieuse de se rapprocher des productions 16 bits ? C’est réussi !

Il est vrai que très peu de jeux utilisaient le curseur d’une souris (dirigé par le clavier) comme interface. Cela a été d’ailleurs l’un des premiers programmes conçus. La volonté de faire aussi bien que les “grands” était bel et bien réelle. Il fallait donc des icônes, une interaction directement sur l’image, quelques animations et pourquoi pas une séquence d’arcade au sein du jeu d’aventure.
Mon jeu préféré de l’époque était Le Manoir de Mortevielle et à tout moment, il me servait de référence et m’encourageait à continuer.

Vous êtes aussi le compositeur de toutes ces musiques… Celles d’Infernal House sont bouleversantes d’émotions. J’en compte une dizaine. Pour Silva, un peu moins, mais efficaces et variées lors du final. Ce sont des compositions originales ? Ou alors vous êtes vous inspirés de thèmes classiques ? Parlez-nous de toutes ces musiques, elles sont géniales.

Je suis ravi qu’elles vous plaisent (je devrais peut-être envisager prochainement une carrière musicale). Qui sait ! J’ai fait quelques années de solfège et de piano. Cela m’a bien aidé pour la conception des musiques.
De mémoire, une de ces musiques provient du registre classique (une modeste adaptation de la Sonate au Clair de Lune de Beethoven), quant aux autres, elles sont pures compositions. La musique d’introduction d’Infernal House provient à l’origine d’un essai de programme hasardeux. En effet, je faisais des expériences sur le coprocesseur sonore de l’Amstrad (Yamaha AY3-8912 – 3 voix) et je me suis rendu compte qu’en produisant la même note sur les trois voix, mais avec une fréquence légèrement décalée, on obtenait un surprenant effet surround. Avec ce procédé, il ne restait plus qu’à composer la séquence de note unique créant l’ambiance lugubre et donnant ainsi toute l’ampleur de la musique d’introduction d’Infernal House.
L’ensemble des musiques d’Infernal House a été directement programmé en Locomotive Basic sans aucun utilitaire à coup de tableaux, compteurs et GOTO.

Comment en êtes-vous arrivés pour éditer vos softs chez Lankhor ? Avez-vous frappé à d’autres portes ? Où votre choix s’est naturellement dirigé vers eux ?

Lankhor a été en ce qui me concerne un choix évident. Ils étaient spécialisés dans les jeux d’aventure, leurs produits étaient de qualité… En réalité, il ne m’est pas venu à l’esprit de contacter un autre éditeur (sauf bien sûr s’ils venaient à refuser le projet). Sans aucun regret, car désormais, Infernal House et Silva ont leur place aux côtés des prestigieux jeux d’aventure de Lankor.

Quels souvenirs gardez-vous de votre collaboration avec Lankhor ?
Mes relations avec Lankhor étaient quelque peu distantes, mais tout à fait cordiales. Je n’ai jamais vu physiquement aucun de leurs membres, je le regrette aujourd’hui. Les projets se sont négociés avec deux ou trois coups de fils et quelques courriers. Une fois le master produit et le contrat d’édition signé, le projet était bouclé.

Infernal House et Silva ont-ils été des succès commerciaux ? Bien que “Silva” soit fort réussi, je le trouve personnellement moins riche que son aîné. S’il apporte un réel plus avec une séquence d’arcade où l’on dirige le héros dans des souterrains inondés, je regrette le “manque” de fins alternatives comme j’ai pu en dénombrer cinq dans Infernal House. En 1992, Le CPC était sur sa fin commerciale irréversible. Lankhor vous a-t-il fait “pression” pour sortir le jeu le plus rapidement possible et qui a fait qu’il paraisse moins “riche” que son aîné. (Je peux me tromper et ne pas encore avoir trouvé toutes les subtilités et “scènes cachées” du jeu).

D’après les propos de Bruno Gourier (mon contact chez Lankhor), Infernal House a fait vivre l’entreprise quelques mois, je pense donc, qu’il s’agit là d’un succès commercial. En revanche, Silva, comme vous le dites, a été un des derniers jeux édités par Lankhor pour l’Amstrad.
Nous étions dans une course contre-la-montre pour sortir le master dans les temps. Par comparaison, il nous a fallu quelques années pour concevoir Infernal House par rapport à quelques mois pour Silva, en précisant toutefois que le travail n’était pas aussi important que pour Silva, car nous avions récupéré et adapté la plupart des routines utilisées dans Infernal House.

Êtes-vous restés en contact avec Jerome Marlier, Thierry Port, Momo, Philippe Beysang, enfin tous ceux avec lesquels vous nous avez fait “rêver” sur “Infernal House” et “Silva” ? Aviez-vous eu, en projet, un autre jeu pour Amstrad CPC après “Silva” ? Mais surtout avez-vous gardé quelque chose de cette belle aventure comme des croquis de personnages, le making off ?!!! Si oui… Pouvez-vous nous faire partager quelques uns de vos “documents d’époque” ?!

Je revois de temps en temps la plupart des “aventuriers” de ces projets (malheureusement pas assez souvent). Jérôme travaille à People Soft, Philippe est ingénieur chez Alcatel, quant à Momo, il est professeur de Mathématiques. En ce qui concerne le making of, je vous fais parvenir quelques documents de l’époque qui ont servi à la production et vous laisse le soin de les mettre en forme.

Quels souvenirs gardez-vous de cette époque ? Et quels sentiments ressentez-vous en apprenant que presque 20 ans plus tard de nombreux fans sont toujours là, à s’aventurer dans votre série et de découvrir encore des “scènes cachées” particulièrement dans “Infernal House”, ou de s’étonner que le professeur Tcherslawsky était en fait, une femme dans “Silva” !
Cela fait toujours plaisir de savoir que le fruit de son travail est encore idolâtré 20 ans plus tard. Cette époque reste l’une des plus marquantes de ma carrière. J’en profite pour saluer votre travail (et celui des sites semblables) sans lequel toutes ces bonnes années seraient, à tort, définitivement enterrées. Je remercie également les concepteurs des émulateurs permettant de ressusciter tous ces jeux d’un autre temps dont la jouabilité reste une référence encore aujourd’hui.
Quelles est votre activité aujourd’hui ?

Une petite anecdote avant : durant mon tout premier entretien d’embauche, alors que la séance tournait plutôt à mon désavantage, présenter en ultime recours les boîtes des jeux d’Infernal House et Silva eu pour conséquence l’obtention de mon premier emploi en tant qu’analyste-programmeur.
Aujourd’hui, je suis directeur des systèmes d’information d’une entreprise industrielle d’une centaine de personnes. J’ai en charge tout ce qui touche de près ou de loin à l’informatique et aux télécommunications (administration système, base de données, Oracle, développements, Forms, PL/SQL, Windev, Autocom…).
J’enseigne également à l’IUT au département SRC les matières gestion de projets, bases de données et programmation AS3.

PhenixInformatique vous remercie pour cette interview et vos jeux qui sont de ceux qui exploitent à merveille la puissance du CPC. À bientôt sur PhenixInformatique, nous l’espérons ! Un petit mot pour la fin ? Je vous laisse la parole, c’est à vous.

Infernal House et Silva ont été des propulseurs de carrière ou tout du moins ont participé à l’ascension de chacun de ses protagonistes, d’une manière ou d’une autre. Il s’agit là d’une expérience inoubliable que je souhaite à tout le monde. Un peu de persévérance, de travail, de volonté et de confiance, et tout devient alors possible.
Je vous remercie également pour cette interview et vous encourage à poursuivre l’enrichissement de votre site afin de faire perdurer un passé qui en vaut la peine.
Essai de couverture du jeu silva

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