Rémi Herbulot merci d’avoir répondu favorablement à ma demande d’interview ! Le CPC est mort depuis une bonne dizaine d’années, mais vous avez su marquer son époque de votre empreinte avec quelques softs dont on se souvient aujourd’hui encore. Voulez-vous nous rappeler quelles ont été vos productions sur cette machine ?
J’ai commencé sur le CPC avec Macadam Bumper. Mon premier contact avec le 464, je m’en rappelle comme si c’était hier… Je venais de signer avec Ere Informatique la version Oric, et je bossais comme un forcené pour l’adapter sur Spectrum. Un soir de février 1985, je reçois un coup de fil de Philippe Ulrich: “Est-ce que je peux passer chez toi à Caen demain matin ?
Je voudrais t’apporter un Amstrad”. Glurp… Avoir son éditeur qui vous apporte à domicile un ordinateur fraîchement sorti, c’était quelque chose !
Après avoir fait “print bonjour” 4-5 fois, il ne restait plus qu’à… désassembler la ROM pour pouvoir faire des appels systèmes très rapides, car la seule documentation qui existait à l’époque était une doc pour le basic.
Deux mois plus tard, la version de Macadam Bumper sortait. Plus tard, j’ai fait Crafton & Xunk (“Get Dexter” en Angleterre), et plus tard encore, sa suite : “L’ange de Cristal” (“Get Dexter 2”).
Votre rôle était-il uniquement la programmation ou avez-vous aussi travaillé sur des scénarios ?
À ce moment-là, les jeux étaient essentiellement l’œuvre d’une personne, souvent le programmeur, car la programmation était très importante, les possibilités techniques étant plus limitées. Pour ma part, je faisais scénario et programmation et Michel Rho, qui travaillait à Ere Informatique, créait les univers graphiques et les personnages.
Était-ce un défi à l’époque que de s’attacher à réaliser un tel jeu au vu des possibilités de l’Amstrad ?
Je ne me rappelle pas vraiment avoir vu les choses en termes de défi. À ce moment-là, on fonçait…, on ne cherchait qu’à pousser à fond les possibilités de la machine. La plus grosse contrainte technique, c’était le temps machine. Je me rappelle avoir refait x fois certaines routines graphiques, pour quelquefois ne gratter qu’un ou deux cycles machine.
Enfin, le défi, c’était surtout de faire mieux que les autres, d’en mettre plein la vue aux autres programmeurs ! Il y avait une compétition terrible entre les programmeurs… On avait qu’une idée en tête, faire mieux que les autres. En France et en Angleterre (car à ce moment-là les américains ne juraient que par le commodore 64).
Le gros avantage, c’est que l’on pouvait connaître la machine sur le bout des doigts. D’ailleurs, en y repensant, l’Amstrad est la dernière machine où j’ai cherché à commenter la ROM. Quand on est passé aux 16 bits (l’Atari ST), la ROM était déjà trop grosse pour qu’on arrive à la dépiauter et à l’assimiler complètement. Il fallait passer par les appels système réglementaires et cela commençait à être une boîte noire (même si ce n’était rien comparé avec les systèmes actuels où il faut remplir des formulaires en 15 exemplaires avant de pouvoir afficher un malheureux pixels à l’écran…!).
Pouvez-vous nous éclairer sur vos méthodes de travail ? Par exemple, est-ce que la création d’un soft passe par une longue période « cérébrale » où vous élaborez mentalement le jeu ou est-ce plus intuitif, les doigts sur le clavier et suivant l’inspiration ?
Je suis plutôt un intuitif. Cela date sans doute de cette époque-là d’ailleurs : les contraintes techniques étaient importantes, il était impossible de les oublier ! Par exemple, Crafton & Xunk, j’ai commencé par faire des routines et j’ai construit le jeu autour, petit à petit. Le problème n’était pas trop d’avoir des idées, mais de démarrer des choses qui soient réalisables et qui rendent bien à l’écran.
Le fait de faire tout tout seul nous permettait d’improviser. Ce genre d’approche, je ne l’ai jamais retrouvé par la suite : les équipes ont salement grossi, les budgets encore plus… donc maintenant tout doit être calibré, borné, approuvé, planifié. On passe actuellement quatre fois plus de temps à faire une game-design (et c’est sans compter le cahier des charges du game-design…) qu’à faire un jeu entier sur cpc…
La société Ere vous laissait t-elle carte blanche dans la conception d’un jeu ou aviez-vous des lignes directrices de la part de la société ?
Ils m’ont toujours laissé carte blanche. Ere Informatique avait une politique d’auteurs assez forte, dans le sens, ils nous laissaient entièrement maîtres du contenu des jeux. D’autres éditeurs ont cherché à salarier le plus vite possible leurs auteurs.
Vous avez développé Crafton & Xunk, puis sa suite, l’ange de cristal, softs qui ont aussi connu un joli succès. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
J’ai d’abord fait toutes les routines de base pour voir exactement jusqu’où on pouvait aller. Michel Rho m’a alors fait de très beaux graphismes, tout en carrés 8×8. C’est lui qui a trouvé l’idée du podocéphale. Dans mon esprit, Crafton devait avoir un module qui tournait autour de lui et le prévenait des dangers. Et paf, me voilà avec un podocéphale ! Mais il était tellement craquant…
Macadam Bumper, j’ai dû faire presque 10 versions différentes, sans compter les différentes langues. Mon pire souvenir, c’est la version MSX. J’avais un assembleur buggé, un éditeur de texte buggé où le texte que l’on tapait s’inscrivait 4 lignes au-dessus du curseur…
C’est pour MSX aussi qu’il a fallu rhabiller la fille. Dans la version japonaise, elle est en robe longue… Les américains, eux, nous ont demandé de la rhabiller en haut… (Heureusement que l’on n’a pas fait de version pour les japonais habitant aux États-Unis!) En tout cas, il n’aurait pas fallu que l’on montre la version “nu intégral”, version que l’on a faite au compte-gouttes (je ne suis même pas sûr d’en avoir une). Il me semble que c’était sur CPC.
On a souvent parlé de la « french touch » à propos de ce que vous développiez avec l’équipe d’Ere. Pouvez-vous nous éclairer sur l’origine de l’expression et nous en donner sa signification ?
Il me semble avoir commencé à entendre ce mot au moment où Ere Informatique et l’éditeur anglais PSS se sont rapprochés pour se distribuer mutuellement. PSS a distribué notamment Macadam Bumper et Crafton & Xunk sous le titre de “Get Dexter”. Ce fut le premier jeu français à être numéro un des charts en Angleterre.
Je me rappelle d’un article de CPW qui titrait “The french are coming” … ! Certains ont commencé à dire que nous avions un look différent, des graphismes peut être plus travaillés. En tout cas, pour moi, la “french touch” se ressent surtout au niveau des graphismes, de l’harmonie des couleurs et des scénarios plus complexes généralement (parfois trop !). On pourra se dire que la “french touch”, ce n’est qu’un terme, mais je dirais qu’il traduit aussi le fait qu’il vaut mieux faire les choses selon sa sensibilité.
Chercher à copier les japonais ou les américains parce qu’ils savent mieux que nous faire des titres commerciaux est à mon avis une erreur. Les titres français qui ont bien marché à l’étranger étaient presque tous des titres ayant une personnalité bien à eux.
Après Ere, vous avez fondé Exxos, qui a développé sur CPC avec par exemple le superbe Purple Saturn Day, puis fondé Cryo. Etes vous toujours attiré par le côté futuriste, science-fiction des projets sur lesquels vous travaillez ?
C’est vrai que je n’ai fait que des titres de science-fiction… à part Macadam Bumper.
Un mot sur votre parcours professionnel et sur vos débuts en informatique, ou comment vous avez atterri chez Ere !
Je travaillais dans un service de gestion d’une grosse société et le directeur informatique disait toujours non quand on lui demandait quelque chose. Un jour, pour se débarrasser de moi, il me dit “Faites-le donc vous-même, vous avez un terminal avec le langage basic”. J’ai pris au sérieux sa remarque et je me suis passionné tout de suite pour la programmation.
J’ai acheté un ordinateur Digital Rainbow 100 et j’ai appris à le programmer en assembleur. J’ai alors décidé de quitter mon travail pour programmer en free-lance et j’ai acheté un Oric. J’ai d’abord programmé dessus un assembleur (il n’en existait pas encore !) et j’ai créé le flipper, le tout en trois mois. J’ai pris mes petites cassettes sous le bras et je suis allé rendre visite à plusieurs éditeurs. Avec Ere Informatique, le courant est tout de suite passé : ils étaient autant passionnés que moi.
Quand on me parle de CPC, j’ai toujours un peu de nostalgie… D’abord parce que parmi toutes les machines que j’ai programmées, c’est sans doute l’Amstrad qui m’a laissé les meilleurs souvenirs, c’était une machine très agréable à programmer, car on pouvait la connaître à fond. Ensuite, parce que, vu avec du recul, c’est certainement la période où l’on avait la plus grande liberté de création, et il y a une spontanéité dans les jeux de cette époque que l’on ne retrouve pas ensuite.
Je retrouve un peu cet esprit actuellement dans la création de sites internet, un domaine où il est toujours possible de faire des choses assez merveilleuses avec peu de moyens et pas mal de matière grise.
Les sites amateurs vous en donneront toujours plus, pas la peine de lutter ! Ainsi, l’excellent site rétro Phenix Informatique, dédié aux ordinateurs Amstrad et leur jeux, a réussi à décrocher une interview d’une des légendes du jeu vidéo français : Rémi Herbulot (Macadam Bumper, Crafton&Xunk…). Profitez-en pour découvrir ce site très sympa qui contient beaucoup d’infos sur la société Amstrad et la ligne CPC.
Sympathique et rafraîchissant à souhait ! Après une dure journée de labeur, un petit régal pour se reposer avec une boisson bien fraîche !
Ker, amateur de choses simples mais géniales depuis 1975.
Encore bravo !
Cette interview est géniale, par un grand monsieur du CPC, la nostalgie a son comble ! J’espère que de nombreuses interview suivront ! Pourquoi pas Longshot par exemple ? Toutes mes félicitations, phenix est désormais le premier lien de mes bookmarks CPC !
Une bien belle et précieuse interview
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Commentaire 2 cvbcvb