-Mars 2011- (Source : Phenix Informatique, NoRecess) 

 

Bonjour Hervé, pouvez-vous tout d’abord pour présenter ?
Bonjour, tout d’abord je me définirai si vous me le permettez comme un passionné d’interactivité. Bien que principalement tourné vers les jeux vidéos, mon cursus s’est diversifié ces dernières années. Doué en dessin (c’est de famille) mais aussi passionné par les machines je me suis retrouvé très vite dans la difficulté de faire un choix difficile entre ces deux disciplines. J’ai décidé de ne pas choisir et de plutôt les mettre toutes deux en pratique et surtout de manière complémentaire par l’entremise des jeux vidéos. Je reste aujourd’hui fasciné par les interactions possibles de l’Art et de la Technique, dans toutes ses dimensions. 

Par la suite, mon obstination a essayer de comprendre les mécanismes qui permettent aux choses d’être « interactives » a finalement pris le dessus et c’est vers la technique que je me suis tourné. Après une dizaine d’année ou j’ai œuvré comme créateur indépendant de jeux vidéos sur micro-ordinateur pour des compagnies comme France Logiciel ou Ubi Soft (Fer & Flamme, B.A.T), j’ai finalement créé ma propre compagnie avec mes coéquipiers de l’époque: Haiku Studios, principalement tourné vers le support CD-ROM et ses capacités de stockage extraordinaires pour l’époque.

Nous avons ainsi réalisés des jeux très audiovisuels pour des acteurs majeurs de l’industrie comme Philips Media, Virgin ou encore Sony / Psygnosis. La contraction de la fin des années 1990 ayant eu raison d’Haiku (et d’ailleurs de pas mal de compagnies de jeu vidéo en France), je me suis donc porté vers la réalisation de logiciels orientés auteur et principalement d’outils de Storytelling. Par exemple je fus coauteur de la technologie Mendel3D pour la compagnie Duran Duboi (utilisée dans une suite Internet pour les développeurs web, un jeu vidéo de course de voiliers: le premier virtual skipper, et un outil de storyboarding 3D pour le film d’Enki Bilal « Immortal, ad vitam »).

Plus récemment, je fus cofondateur de la compagnie xtranormal ou j’ai dirigé la recherche et le développement de la technologie en ligne Text-to-Movie qui permet de produire très facilement des petits films en écrivant simplement des dialogues. Je travaille actuellement pour Behaviour Interactive – une compagnie indépendante de jeux vidéos en tant que directeur technique pour des jeux en ligne. Je participe ainsi a la création de mondes virtuels massivement multijoueurs, principalement pour les enfants.

Il y a quelques années, j’ai décidé de voyager un peu puis de me poser au Canada, ou je vis actuellement avec ma compagne et mes deux petites filles. C’est un choix que je ne regrette pas, le Canada et plus particulièrement le Québec est un pays merveilleux qui a su encore gardé un esprit pionnier, un esprit qui convient tout a fait a ma personnalité.

Quand avez-vous découvert l’Amstrad CPC ?
C’était fin 1984 je crois, j’étais développeur amateur chez France Logiciels (FL), une petite compagnie de jeux vidéos dirigée par Philippe Derambure. J’avais déjà développé quelques programmes et jeux personnels sur l’Oric 1 et j’avais rencontré Philippe dans un magasin d’informatique a Paris (Vismo pour les nostalgiques) pour acheter une imprimante (mes programmes grossissaient). Philippe montait FL et cherchait des développeurs. J’étais étudiant et l’été s’en venait, je me suis dit: pourquoi pas.

Je me rappelle que Philippe avait sorti son calepin pour noter mon adresse et que ce dernier était rempli d’une multitude de noms. Je me suis dit que j’avais pas mal de concurrence. J’ai travaillé comme un fou pendant mes vacances scolaires et j’ai sorti « Le secret de Kaipur »: un jeu d’aventure textuel mais avec des graphismes vectoriels sur Oric 1 puis Atmos. Lorsqu’on s’est revus avec Philippe en Septembre, j’étais a peu près le seul a avoir fait quelque-chose, et pour signer le contrat je lui ai amené le listing du jeu complet pour preuve! On a terminé le jeu ensemble (un de mes meilleurs souvenirs de cette époque) et même si on en a vendu que 500 exemplaires, j’étais content et je pouvais m’acheter un moniteur couleur! J’avais aussi gagné un ami. Par la suite c’est Philippe qui a acheté un Amstrad CPC et me l’a refilé pour que je lui fasse un autre jeu: c’était le « Bagne de Népharia ».

C’était une commande opportuniste et j’ai du le faire vite en deux mois vers décembre 1985. On en a quand même vendu 2000. Je fus vite enthousiaste d’avoir une machine de loin supérieure aux Oric! et je bouillonnais de faire quelque-chose de plus consistant. A l’époque il y a avait l’Apple IIe (l’ordinateur des « pros », ceux qui avaient aussi les moyens de se payer une machine plus chère), je me suis dit qu’il était temps qu’un vrai JDR arrive sur Amstrad, c’est a dire a la hauteur d’un Ultima mais utilisant en plus les capacités graphiques du CPC. Ce fut Fer & Flamme. Philippe a du fermer FL et je me suis retrouvé sans éditeurs avec ce projet. J’ai rencontré Chip puis Ubi Soft. Le premier m’a dit de revenir quand mon jeu serait terminé et le second était prêt a l’éditer si je changeai mon interface clavier pour des icônes contrôlables au joystick, comme dans Zombi. J’ai suivi Ubi Soft, c’était en 1986.

Avez-vous été en contact avec l’informatique auparavant ? Comment et avec quel(s) micros ?
Tout d’abord mon père travaillait au service informatique d’une grande banque parisienne, j’ai pu donc visiter son lieu de travail. Les calculateurs, énormes lecteurs de bande et imprimantes m’avaient beaucoup impressionnés. Par la suite j’avais un ami dont le père s’était payé un TRS-80 modèle III et c’est sur cette machine que j’ai tapé mes premières instructions en BASIC quand je visitai cet ami. J’ai aussi passé quelques après-midi au centre mondial de l’informatique a faire du Logo sur un Goupil G1 et du BASIC sur un Apple II.

Mon premier micro fut un Oric 1, en réalité celui de mon frère qui l’avait acheté mais ne l’utilisait pas. Mon premier programme sur cette machine ne fut pas un jeu, mais un logiciel qui permettait de visualiser la navette spatiale sous toutes les coutures avec quelques commandes interactives. Puis, pour amuser ma grande sœur, j’ai écrit des jeux. 


Quand avez-vous abandonné le CPC ?
Après »Fer & Flamme » j’avais sorti « L’Anneau de Zengara » en 1987. A mon grand désespoir, le jeu fut perçu comme une suite ratée de F&F mais il n’en était rien. F&F et Zengara formaient en réalité un microcosme JDR / Aventure qui me permettait de construire un monde s’enrichissant de différents point de vue et en plusieurs jeux. Cependant, je n’étais pas très satisfait de la programmation de F&F alors j’avais écrit Zengara tout en assembleur Z80 et j’étais très fier du résultat (je préparai en fait un F&F2 avec cette technologie). Mais la presse n’a  pas aimée Zengara et j’en fus très déçu.

L’Atari ST venait de sortir et offrait de nouvelles possibilités graphiques et sonores, j’ai eu l’idée de BAT et donc j’ai changé de plateforme.

Qu’en pensiez-vous à l’époque et qu’en pensez-vous maintenant ?
Il y a deux machines extraordinaires ou pour moi, la programmation a rimé avec plaisir: c’est le CPC et l’Amiga. Il y avait quelque chose d’unique dans ces deux systèmes, un peu comme un instrument de musique: tout est la, devant vous, il n’y a plus qu’a composer ce qui vous passe par la tête ; et en plus d’autres disposent du même instrument (un avantage qui disparu avec les PC). C’était une époque ou être un programmeur signifiait être un créateur.

Sur le plan technique et contrairement par exemple a l’Amiga, le CPC n’était pas la meilleure machine (faire un scrolling fluide restait un défi), et même décevant au niveau audio. Mais tout était la et sa forme intégrée (moniteur + ordinateur) était révolutionnaire et conférait un caractère inédit quasi-incarné a ce micro-ordinateur. Finalement, venant du 6502 la découverte du Z80 et de ses possibilités fut comme une bouffée d’oxygène, la transition parfaite du 8 bit vers les systèmes 16 bits qui s’en venait.

Possédez-vous toujours un ordinateur Amstrad ?
En fait je n’en ai jamais possédé. Les compagnies me prêtaient des systèmes pour programmer dessus, donc je les ai tous rendus (excepté mes Oric). 

Quelle utilisation en aviez-vous ?
Je les utilisais principalement pour programmer des jeux.

Quels sont les programmes que vous avez édités sur Amstrad ?
Il y a eu:
– Le Bagne de Nepharia, 1985 – France Logiciels.
– Fer & Flamme, 1986 – Ubi Soft.
– L’Anneau de Zengara, 1987 – Ubi Soft.
– B.A.T, 1991 – Ubi Soft (excellent portage fait par Tim McCarthy de la version Atari ST).

Comment se déroulait la conception de ces jeux ?
A l’exception de B.A.T, je faisais tout seul (scénario, programmation, graphismes et audio) avec quelques coups de main de ci et de la (je n’ai pas fait la musique d’introduction de Fer & Flamme, Patrick Daher (Zombi) m’a aidé pour un ou deux dessins dans Fer & Flamme, mon frère Thierry testait mes jeux, etc.). On était aussi très peu supporté par les éditeurs qui se contentait du marketing (minimal a l’époque) et de la duplication. Par exemple il n’y avait pas a cette époque de service de test chez Ubi Soft. Bref on faisait un peu tout.

 Me concernant, j’écrivais beaucoup les idées et la structure du jeu dans des cahiers. Puis je me lançai dans la programmation et la création du contenu de manière décousue, sans véritable organisation jusqu’à ce que cela soit fini. Il m’arrivait de passer des journées entières a coder ou a réaliser des graphismes, d’autre ou je ne faisais rien. Il m’est arrivé de travailler d’affilé 19 heures une journée, sans manger ou dormir. Je vivais chez mes parents, j’étais étudiant et cela les inquiétait un peu mais je me débrouillai toujours pour avoir des résultats scolaires honorables.

En 1986, après avoir passé mon bac je suis rentré dans une grande école d’électronique assez loin de chez moi et je devais me lever très tôt le matin. Je me couchait vers minuit pour avancer mon jeu et me levait vers 5 heures du matin pour aller a cette école, quelle forme j’avais a cette époque!

Quels langages avez-vous utilisés? Utilisiez-vous des outils de programmation particuliers ?
Fer & Flamme fut écrit a 90% en BASIC. Zengara fut écrit a 100% en assembleur Z80, et si je me rappelle bien avec l’environnement assembleur-débogueur ZEN. Le gros livre « Z80 programming » de Rodnay Zaks est vite devenu ma bible. Pour Zengara, je travaillais avec deux CPC: un 6128 couleur pour les graphismes et un 464 (le clavier!) monochrome pour la programmation. Les deux machines étaient constamment allumées et je passai des graphismes a la programmation au gré de mes envies.

Pour les graphismes justement j’ai pas mal utilisé l’excellent Lorigraph sur 464, puis un peu OCP sur 6128. 

Anecdote: étudiant en électronique, pour Zengara j’avais bricolé mon propre scanner en Mode 2, en modifiant la tête de lecture d’une imprimante et en utilisant le mode « pencil » de Lorigraph. Puis je convertissais les dessins en Mode 1 et je finalisai le tout en colorisant pixel par pixel. Ce n’était pas très précis mais je gagnai un temps fou au niveau de la composition, 2/3h par dessin au lieu des 4/5h pour Fer & Flamme.

Avez-vous rencontré des difficultés ? Si oui, lesquelles ?
Pour Fer & Flamme, je me suis heurté a des problèmes importants de mémoire. Il y a avait peu de documentation et je me suis rendu compte très tard que le système en ROM utilisait beaucoup de RAM, surtout lors du chargement des programmes. Or, Fer & Flamme se déroulait en plusieurs parties qui correspondaient a différents programmes ! A quelques semaines de Noël ou je devais livrer le jeu coute que coute, j’ai du user de prouesses pour gérer cette mémoire – je n’ai pas dormi pendant trois jours mais j’ai finalement trouvé une solution : en passant par des programmes en overlay.

Je me suis juré par la suite de ne faire que de l’assembleur pour mieux maîtriser les ressources du système. 

Le jeu ne tenait pas également sur les deux disquettes! j’ai du changer le formatage des secteurs et des gaps a la limite de l’acceptable pour que tout rentre. je me rappelle être aller voir le duplicateur au dernier moment pour lui expliquer mon formatage et qu’il règle ses machines.

Que pensez-vous de la direction qu’a pris l’informatique avec l’avènement du standard IBM ?
Dans les jeux vidéos, un tournant important a été celui de la console: les systèmes sont devenus propriétaires, réservés aux professionnels. On est donc passé de l’artisanat, de la création d’auteurs a l’industrie, aux équipes grossissantes et a la production de masse. Ce fut moins douloureux il me semble aux États-Unis dont les développeurs s’étaient déjà – je dirai naturellement – structurés en équipes. En France, l’esprit « auteurs » était très fort a cette époque. Un autre tournant a été le CD-ROM, cette fois du coté du contenu, fini les petites équipes pour remplir les 600 Mo de données!!!

Sur un plan plus général, je reste émerveillé par le niveau de complexité que l’informatique a pu atteindre. Mais d’un autre coté, cette complexité sclérose selon mon opinion un peu le plaisir que nous pourrions avoir a travailler avec une telle puissance. On programme maintenant moins proche du silicium et plus dans l’abstraction du logiciel (et de plus en plus) – notamment par l’avènement de la programmation orientée objet. En soi il n’est donc pas anormal qu’on ressente moins d’attraction pour les machines modernes, on se sent plus proche peut-être des OS. A l’époque, une nouvelle machine hétéroclite sortait toute les semaines: qui se rappelle du Jupiter ACE que l’on programmait en Forth, ou du MO5 ou du Squale?.

On travaillait proche de ces « petites » machines, il se créait un lien fort et quasi affectif avec elles. L’architecture électronique et le langage de programmation primaient, l’OS était anecdotique. J’imagine que c’est le déroulement historique et logique des innovations, que les premiers créateurs d’automobiles ou d’aéronefs on vécus la même cristallisation de la passion en industrie – un peu au détriment de l’esprit pionnier.

Avez-vous gardé des contacts avec des acteurs du secteur de l’époque ?
Pas beaucoup, je reste en contact avec Olivier Cordoleani et quelques autres mais on se voit très peu. Cependant, André Villard qui travailla sur BAT1 & 2 et chez Haiku est un ami proche.

Peut être un petit mot pour nos lecteurs ?
C’était une époque bénie pour les créations digitales et le pixel art. Étant a la fois passionné par les machines et doué pour les graphismes j’ai eu la chance de trouver un médium qui pouvait réconcilier ces deux disciplines. Nous avions l’impression d’être des pionniers. Cette époque est révolue mais d’autres opportunités apparaissent, mon mot est de ne pas les laisser passer si vous avez la fibre d’un créateur. Après un tassement très industriel dans les années 1990 / 2000, il semble que de nouvelles opportunités inédites s’offrent a nous, proche de cet esprit des années 80.

 

Il y a l’Indie, la plateforme Steam, le Web et les iPhone / Android qui donnent la possibilité d’un contact direct entre les créateurs et les joueurs et plus de prise de risque… Angrybird et Minecraft sont des exemples, alors a vos claviers mesdames messieurs!

Interview réalisée en mars 2011 par NoRecess (www.norecess.net) pour Phenix Informatique.