Claude le Moullec • Aligator

Salut Claude ! Merci à vous de répondre présent pour cette petite interview sans prétention qui n’aura que pour but de rappeler certainement de bons souvenirs à beaucoup d’entre nous ! L’équipe de Phénix Informatique est donc très fière de vous avoir “presque” en direct live et d’en faire profiter la communauté Amstradienne du web !
A l’époque vous étiez déjà dans le domaine de l’informatique ?

Non, je n’ai jamais été dans l’informatique. Je n’ai jamais suivi un seul cours et encore aujourd’hui, même s’il m’arrive d’en donner, ma formation reste celle d’un autodidacte.

L’informatique, et notamment le CPC, c’est arrivé comment chez vous ?

J’ai commencé ma vie active comme militaire. J’étais Radio (opérateur morse) dans la Marine nationale. Je parle des années entre 1972 et 1981. Dans ma dernière affectation, je faisais de la veille pour les bâtiments en mer et à côté de moi, j’avais un ami qui lui aussi faisait de la veille, mais pour les SNLE (sous-marin atomique). Son job consistait à attendre… des messages qui n’arrivaient jamais.

Pour passer le temps, il avait fait venir des USA un des premiers ordinateurs personnels en kit. Cela va faire rigoler. C’était vraiment la préhistoire. Il n’avait reçu que les composants. Même pas de boîtier et aussi incroyable que cela puisse paraître, c’était à lui de programmer la ROM en rentrant un à un tous les codes machine. Ce qui faisait déjà un bon bouquin. Moi, je le voyais faire et je me disais que cela devais être intéressant. C’était mon 1ᵉʳ contact avec l’informatique.

Claude le Moullec -Aligator-

Mais j’étais trop fainéant pour faire pareil. En fait, c’est quand j’ai quitté l’armée que j’ai acheté d’occasion mon 1ᵉʳ ZX81 et que j’ai vraiment sauté le pas. Le ZX81 en version de base n’avait qu’un kilo octet (1K) de ram ! Et pourtant on pouvait faire des programmes avec. Il se branchait sur une télé et si on voulait conserver ses programmes, il fallait les enregistrer sur un lecteur de K7. Il utilisait un Basic rudimentaire où toutes les instructions étaient écrites sur les touches du clavier.

La bête devait faire 15 cm sur 15 cm ! Mais c’est avec lui que j’ai appris à programmer, à comprendre la structure d’un programme et à en voir le résultat. Puis est apparu le CPC 464 vers 1984. Il coûtait 5000 F ce qui à l’époque représentait 2 mois de mon salaire ! Mais j’étais déjà mordu et ma femme m’a presque forcé à l’acheter. La suite, vous la connaissez…

Sur votre site http://aligator.amstrad.eu/ on peut télécharger plus de 80 programmes pour CPC. On peut dire que vous avez été prolifique ! D’où vous sont venues toutes ces idées de jeux ?

En fait, je n’ai jamais vraiment aimé jouer. Puis pour moi, le prix des jeux était prohibitif. Par contre, il y avait beaucoup de revues (hebdologiciel, Amstrad CPC, Tilt, etc.) qui éditaient des listings. J’en ai tapé 3 ou 4 pour comprendre la structure des programmes. Certains étaient buggés, ce qui m’a obligé à reprendre certaines lignes pour qu’ils puissent tourner.

Très vite, j’ai pensé que je pouvais en faire autant. Je me suis lancé avec un premier jeu intitulé Infernal Runner. En Basic avec des sprites qui n’étaient que des caractères reconstitués, il ne m’a pas vraiment posé de problèmes techniques. Je l’ai envoyé sans vraiment y croire à Amstrad CentPourCent. C’est un ami qui quelques semaines après m’a téléphoné en me disant : “Hé, Claude ! T’as vu que ton programme a été publié !”.
Je crois que c’est quand j’ai eu entre les mains cette revue avec mon nom écrit pour la 1ʳᵉ fois en haut d’une page imprimée que j’ai ressenti une des plus grandes émotions de ma vie. Cela peut paraître puéril, mais je sais que cette nuit-là, le sommeil a été difficile à trouver.
Puis deux mois après, le 1ᵉʳ chèque de la SORACOM (NDLR : SORACOM Informatique était un éditeur de livre informatique) est arrivé : 1700 F. À l’époque, ce n’était pas neutre. Entre temps, j’avais déjà un autre programme qui avait été publié. Le rythme n’a fait que s’accélérer surtout que ma technique de programmation allait en s’améliorant. Il n’y a pas de miracle. Je dévorais toutes les revues, livres, programmes du CPC qui me tombaient dans les mains. Je pompais, j’étais pompé. C’est un peu le principe de l’échelle sans fin. On se sert des barreaux posés par d’autres pour aller poser ses barreaux un peu plus haut qui serviront à d’autres pour aller poser les leurs encore plus haut… et ainsi de suite.
Concernant l’inspiration, en fait, dans la plus grande partie des cas, c’est à partir de jeux commerciaux que j’imaginais les miens. Je me contentais d’en lire la critique pour imaginer ma propre version. Modification, adaptation, simplification, peuvent résumer les 80 jeux d’Aligator. C’est ce qui faisait leur charme. Combien de personnes m’ont écrit ou téléphoné en me disant : “Au moins avec vos jeux, on peut réellement jouer”. Sous-entendu, ceux du commerce sont tellement difficiles que si l’on n’est pas un ” Kid Paddle”, on n’arrive jamais à passer le second niveau. Autre raison du succès : le listing à taper. On serait étonné du nombre de personnes qui éprouvaient du plaisir à rentrer des lignes et des lignes de codes.

Très souvent des adultes, plus que des jeunes. Des adultes ayant du temps : retraités, femmes au foyer, etc. Autre élément important : c’est qu’Aligator n’hésitait pas à laisser ses coordonnées. Au départ, un numéro de téléphone glissé au milieu du listing puis plus tard avec adresse et tout dans les “REM” (NDLR : commande BASIC pour insérer des commentaires dans les listings) en début de programme. Ce qui fait que par courrier ou par téléphone, j’ai débloqué des centaines et des centaines de personnes, qui après avoir tapé mes listings, n’arrivaient pas à faire tourner le jeu à cause d’une ou plusieurs erreurs de frappe.

À une certaine époque, tous les jours, je dis bien tous les jours, je recevais 2, 3 ou 4 lettres liées à mes dernières publications. Puis après, ou pendant les programmes, il y a eu les fanzines, les cours du professeur Aligator avant que le CPC devienne obsolète et disparaisse de sa belle mort.

Aujourd’hui êtes vous encore attiré par l’informatique et si oui, continuez vous à programmer ?

Oui et non. J’ai créé, il y a 4 ans, un club informatique dans ma région. Il tourne bien. J’en suis le président, j’ai 4 animateurs bénévoles qui a raison de 5 séances par semaines dispensent des cours à une cinquantaine d’adhérents. En ce qui concerne la programmation, étant passé au PC, j’ai écrit quelques programmes en Qbasic et VB. C’est plutôt vers la création de sites Internet que je me tourne maintenant.

Mais je n’ai plus beaucoup de temps. Le temps que je consacrais à l’informatique, je le consacre au journalisme. Depuis 15 ans, je suis devenu correspondant de presse pour le Ouest-France.

Que représente l’époque des 8 bits pour vous et en êtes vous nostalgique ?

Nostalgique non. Il faut vivre avec son temps. Mais je sais ce que l’informatique m’a apporté. Financièrement, cela m’a mis du beurre dans les épinards ou des épinards dans le beurre. Quand j’ai voulu devenir correspondant OF, c’est avec mes articles du Professeur Aligator sous le bras que je suis présenté en leur disant : “Vous voyez, j’arrive à tenir un stylo sans me blesser…”

Lankhor vous a édité, j’imagine que c’est une grande fierté, qu’est ce que cela a changé pour vous ?

Finalement non. Comme je l’ai dit, ma plus grande fierté a été la publication de mon 1ᵉʳ jeu. En fait, “Le Trésor d’Aligator”, un remake de l’Aigle d’Or, était destiné à être publié sous forme de listing. Mais il était trop long. J’ai envoyé une D7 à Lankhor qui a accepté de l’éditer. Mais c’était un “petit programme “. Les critiques m’ont étrillé à juste titre. Le seul point positif : c’est que je peux dire que j’ai été édité dans le circuit commercial et que je suis en mesure de montrer la boite du jeu à mes enfants.

Avez vous des regrets concernant cette époque, des gens que vous auriez aimé rencontrer ou des programmes que vous auriez aimé écrire par exemple ?

Non, je n’ai aucun regret. C’était une belle aventure. J’ai eu ma petite parcelle de gloire. Point final.

Continuez vous à suivre l’actualité des 8 bits (démos, softs, meetings…), et avez vous remarqué que le CPC continue à vivre en partie à travers le web ?
Très peu. Il m’arrive de lancer une requête sur mon nom dans Google et c’est par ce biais que je sais que le CPC a encore ses aficionados.
Qu’êtes vous devenus après l’extinction du CPC ? D’autres machines vous ont attirées ?

Comme je l’ai dit, l’informatique n’a jamais ma profession principale. Comme aujourd’hui mon activité de correspondant de presse qui elle non plus n’est pas mon activité principale. Après le CPC, chacun sait que c’est le PC qui s’est imposé. Je dois en être à mon 10eme.

Quel est selon vous votre meilleur programme et pourquoi ?

À mes yeux, mon meilleur programme et un tout petit programme qui n’a pas fait beaucoup de vague. Il s’appelle “La Preuve par 4”. Certains diront un clone de Tétris mais pour moi, c’est un très bon concept que je suis très heureux d’avoir imaginé.

Beaucoup de nos visiteurs réclament des listings à taper comme dans le bon vieux temps, vous avez ça dans vos cartons ?

Bien sûr. J’ai presque toutes les revues où mes listings ont été publiés. Mais je ne sais pas où serait l’intérêt aujourd’hui de revenir sur ce système. Surtout que dans mon site (http://aligator.amstrad.eu/) on peut tous les télécharger.

Si vous deviez retenir quelques softs de l’ère Amstradienne quels seraient-ils ?

Chacun ses goûts. Pour ma part, j’ai joué des heures à Puznic et surtout Alinka (un super clone de Tétris : meilleur que l’original) écrit par un amateur comme moi. Ce mec avait inventé une redéfinition de la taille de l’écran pour l’Amstrad avec une image plus haute que large. C’est dommage, car ce système ne passe pas avec les émulateurs CPC et donc le jeu n’est pas jouable sur PC.

Un petit mot concernant Enigma 12, une chasse au trésor virtuelle. Vous êtes un amoureux des énigmes au point d’en faire un site où la personne qui trouvera la solution bénéficiera d’un gain de 50 Euros. Vous avez tout organisé seul ? On peut encore participer ?

Enigma12 est le site de cette chasse au trésor. Elle tient toujours malgré de nombreux participants et des joueurs chevronnés qui travaillent en équipe. C’était un coup d’essai, mais je constate qu’il n’était pas si mauvais que cela. Je pense qu’ENIGMA 12 va tomber dans 2 ou 3 mois. Faut donc se presser si on veut avoir une chance de remporter les 50 €. C’est une voie que je n’ai pas fini d’explorer. Il y aura donc une ou des suites à ce genre de jeu.

On est curieux et on veut toujours en savoir plus ! Avez vous toujours des liens avec les personnes qui ont fait la belle époque du CPC ?

Non aucun. Par contre, il n’est pas rare que je reçoive des mels de personnes qui sont tombées sur mon site par hasard et qui me remercie des heures d’occupation et de plaisir qu’Aligator leur a fait passer. Il arrive même que certains, qui aujourd’hui, travaille dans l’informatique, me disent qu’ils me doivent leur vocation. (J’arrête là, car mes chevilles enflent)

Amicalement à tous les visiteurs de Phénix Informatique
Claude Le Moullec dit “Aligator”

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