-Mars 2011- (source : Amstrad.eu)

  Bonjour Mme Vannier. J’aimerais dans un premier temps vous remercier de nous consacrer un peu de votre temps et c’est avec beaucoup de fierté et d’émotion que nous avons accueilli votre mail. Vous avez incarné pendant de nombreuses années Amstrad France. PhenixInformatique.com est un site web qui regroupe encore de nombreux passionnés d’Amstrad CPC et nous avons tous le souvenir de votre passage dans cette société. Imaginez, une femme PDG d’une aussi grande entreprise à l’époque…

Tout d’abord, quel fut le parcours qui vous a amené à prendre la tête de la société Amstrad France et en quelle année ? Bonjour. Je n’avais à la base aucune formation. Je n’ai même pas le BAC. A mon arrivée  sur Paris à l’âge de vingt ans, je me suis débrouillée tant bien que mal à coup de petits « jobs ».

J’ai  par la suite répondu à une offre d’emploi dans le Figaro et c’est en juin 1972 que je suis rentrée chez Europconfort qui au tout début vendait de l’ameublement, puis  du matériel hifi. Après quelques années de formation sur le terrain, je suis devenue la directrice commerciale de la société d’import  Cogel qui revendait à Europconfort et d’autres.

A cette époque, Amstrad produisait du matériel Hifi et nous avons distribué quelques uns de leurs produits.

En 1982, le responsable décide d’arrêter ses activités. J’avais acquis une bonne expérience commerciale et de nombreux contacts. Alan Sugar, qui était  alors sans distributeur en France, décide de saisir cette opportunité et me demande de créer pour lui sa  filiale en France.

C’est en 1984 qu’Alan, qui cherchait à diversifier ses activités, se lança dans la micro-informatique personnelle.

Il a donc appliqué la méthode qu’il avait déjà utilisée sur le matériel Hifi. La Hifi était vendue par éléments, c’est lui qui a « inventé » le concept du tout en un. Les différents éléments (tourne disque, lecteur de K7 et tuner radio) étaient rangés dans des racks et mis en un seul bloc. Une façade donnait l’impression que les éléments étaient séparés les uns des autres et s’empilaient. Une seule alimentation, un seul câble. Ceci simplifiait l’utilisation et bien sûr, diminuait les coûts.

Son expression favorite était « déguiser un Duc en Roi !! ». Dans notre cas c’était un électrophone déguisé en chaine hifi aux éléments séparés.

Vous avez donc été choisie directement par Alan Sugar ? Alan Sugar gérait tout. J’avais déjà de bons contacts avec lui et c’est sur un simple coup de téléphone que j’ai créé la filiale Amstrad France. Pour la petite histoire, nous étions deux au départ. J’avais pris Daniel Marcelin, un ami, comme secrétaire. Daniel travaillait depuis déjà plusieurs années avec moi et connaissait très bien l’activité. C’était un homme en qui j’avais une entière confiance.

En tout cas, une femme avec un homme pour secrétaire, ce n’était pas commun. D’ailleurs, quand je décrochais le téléphone, on me prenait régulièrement pour la secrétaire.

Les femmes PDG ne devaient en effet pas-être nombreuses à cette époque. Comment a débuté la société ? Non en effet. Nous avons débuté dans un simple bureau (et même pas un ordinateur pour travailler). J’avais dix sept clients pour le matériel Hifi et nous avons eu beaucoup de mal à lancer la commercialisation de micro-ordinateurs dans ce secteur. Je me suis battue et j’ai travaillé comme une damnée pour démarrer l’activité.

L’objectif de départ était d’écouler dix mille machines en trois mois. Les CPC étaient vendus par six.

Nous avons lancé une campagne de publicité dans des magasines spécialisés (hifi, micro-informatique) pour vendre nos CPC en donnant la liste de nos dix sept distributeurs et la mention « réclamez-le à votre revendeur le plus proche »

Les revendeurs spécialisés en micro-informatique dans toute la France nous commandaient des machines sous la pression du consommateur final. C’était une véritable épicerie et aucune grande distribution ne voulait alors se lancer dans ce secteur.  Il m’a fallu beaucoup de travail pour écouler notre stock. Mais c’est sous la pression des clients que les ventes se sont emballées… « Le bon produit, au bon moment et au bon prix !! »

Notre premier distributeur grand public fut le catalogue « La Redoute » qui avait mis une page complète sur nos produits. C’est en haut d’un escalator dans le cadre du SICOB (où nous n’avions pas réussi à avoir de stand), assis sur des cartons que nous avons conclu cet accord avec Francis Vanacker !! C’était important pour nous, car ce catalogue était capable de nous distribuer dans toute la France.

Ce garçon avait pris un très gros risque, et je lui en ai toujours été reconnaissante. Par la suite, j’ai toujours privilégié ce distributeur qui au final, nous aura vendu plusieurs milliers de machines.

Si mes souvenirs sont bons, vous avez également été nommée femme d’affaire de l’année (Prix Veuve Clicquot) en 1988. Quelle a été votre réaction ?

C’était une idée de notre service de presse.

Ma nomination a été une surprise. Ce prix était très important à cette époque. Lors de sa remise (à l’hôtel Crillon), j’avais une trouille terrible de ne pas pouvoir prononcer le moindre mot du discours que j’avais écrit tant j’étais impressionnée. Il y avait beaucoup de monde, avec des personnalités importantes. Trois ministres dont Roger Fouroux, le Tout Paris des affaires, Vincent Bolloré, et plein d’autres.

Un grand merci à Alexis Cabanne (le fils de Marion Vannier) pour cette photo.

Combien de temps avez-vous passé à la tête de la société ? J’ai passé dix ans à la tête d’Amstrad France de sa création en 1982 jusqu’en 1992 où j’ai démissionné. Au cours de cette période, j’ai été nommée au conseil d’administration du groupe (member of the board) ce qui était une grande preuve de confiance et de distinction venant de la part de Sugar.

Je bénéficiais d’une grande liberté d’action et je pouvais prendre toutes les décisions seule. Au bout de la première année, nous avions déjà engagé vingt personnes.

J’ai donné dix ans de ma vie à cette société. C’était mon bébé et mon activité professionnelle passait avant ma vie privée.

Lors d’une réunion du conseil d’administration dont j’étais membre, Alan Sugar a piqué une grosse colère. Il a lancé un « I fuck you all french » et j’ai été très choquée. C’était une phrase lancée dans l’action, qui aurait du rester sans suite. Mais mon état de fatigue était tel, que ces mots m’ont complètement anéantie…

En 1992, Amstrad était à son zénith et les actions de la société au plus haut. Le marché de la micro-informatique tel qu’il existait était sur le point de disparaître et l’avenir devenait incertain. Malgré tout, Alan nous avait formellement interdit de revendre nos parts pour ne pas faire chuter la cotation en bourse. Peu de temps après, je découvrais dans « les Echos » qu’il revendait pour 500 millions d’actions personnelles.

Sugar était, et est toujours un homme très riche. Ce n’était pas notre cas, et nous avions presque tout misé dans cette entreprise. Faisant partie du conseil d’administration, je ne pouvais donc pas vendre mes actions sans son accord. J’ai donc décidé de partir. Comme je l’ai déjà dit, c’était « mon entreprise », mon bébé et j’ai proposé de rester le temps qu’il faut pour passer le relais. Trois jours après ma demande de démission, j’étais à la porte mais j’avais sauvé mes actions (vendu 2£ l’action – 42pens 2 ans après)…

L’équipe d’Amtrad France (Tilt 51 , Avril 88) De gauche á droite : Yves Breschard, responsable du département bureautique ; Marcettin Daniel, responsable du département import et Transport ; Français Quentin, chef de produit ; Bertrand Radiguel, chef des ventes hi-fi vidéo ; Manon Vannier. P.D.G.d’Amstrad France ; Maryse Choiltoux, attachée de direction; Jean Cordier, directeur des ventes grande distribution.

Quels ont été vos contacts et vos relations avec Sir Alan Sugar ? On dit qu’il était très exigeant mais qu’en contrepartie il restait proche de ses collaborateurs. Alan Sugar est un homme d’affaire très exigeant et surtout un formidable homme de marketing. Il est imposant et impressionnant. Beaucoup de monde avait peur de lui. Moi je n’étais pas vraiment dans une position de simple employée. J’étais restée longtemps une cliente de Sugar et cet état d’esprit s’était installé.

Nos contacts était cordiaux mais assez courts. Souvent quelques minutes par téléphone et exclusivement pour le travail. Je commandais les machines dont j’avais besoin, c’est tout. Nous n’avons jamais été amis. Par contre nos relations ont toujours été pleines de respects.

L’Amstrad CPC a rencontré un énorme succès en France, bien plus important que dans le reste de l’Europe au point que certaines machines prévues sur d’autres marchés (je pense en particulier à l’Allemagne), on été modifiées pour être vendues ici. Comment expliquez-vous le succès d’Amstrad en France ? Le travail !!

Oui, je pense que notre travail est la principale raison du succès d’Amstrad en France. Je ne comptais pas mes heures, j’étais un clone de Sugar (rire).

Le concept était également très bon. Comme pour les chaines Hifi. Un seul câble, une machine simple à utiliser et un prix imbattable. Les concurrents étaient loin d’avoir un produit équivalent. 

L’organisation d’Amstrad dans les autres pays était un peu chaotique. Chaque pays avait sa propre filiale mais leurs dirigeants n’étaient pas toujours rigoureux.

Le responsable de la filiale d’Amstrad en Espagne (ndlr : José Luis Domínguez) avait confondu ses finances personnelles et les comptes de la société. Il s’était permis d’acheter pour son usage personnel, une rutilante BMW 850 au frais de la princesse…

Alan n’apprécia pas du tout l’initiative. Il fit récupérer le véhicule en Espagne et me l’offrit !! Je me suis donc retrouvée au volant d’une automobile de presque 800 000 Frs entre les mains. Le jour même, je suis partie au travail avec mon fils Benjamin qui devait avoir six ou sept ans et je lui dis de ne pas parler de la voiture. Au bureau,  il finit par s’impatienter et il me dit « c’est quand qu’on remonte dans l’avion ? » 

Le succès a été tel qu’en effet nous avons du récupérer des machines destinées au marché Allemand. Il nous a fallu faire quelques changements comme le clavier et le manuel pour distribuer ces CPC dans l’hexagone.

Savez-vous pourquoi les mascottes de la marque étaient des crocodiles ?

Les crocos étaient 100% made in France !!

Cette idée est venue de notre agence de pub. Alors qu’un des employés faisait des photocopies, une feuille est ressortie avec les bords « dentelés ». A cette époque, nous « mangions le marché » et le bord de la feuille lui a fait penser à des dents de… crocodile.

Nous avons ensuite utilisé le slogan « Amstrad, le mordant informatique ».

Ce concept qui devait nous coûter 30 millions de francs, ne plaisait pas du tout aux Anglais. Pour bien leurs faire comprendre la différence entre nos deux pays, je leur ai parlé de notre goût prononcé pour les cuisses de grenouilles (il est impensable pour la majorité des Anglais d’en manger) …

Les crocos ont fait un carton en France (heureusement pour moi) et ils ont fini par reconnaître que c’était finalement une très bonne idée.

Avez-vous utilisé personnellement les CPC. En avez-vous encore en votre possession ? Non.  Mais j’avoue que je n’ai jamais eu le temps de m’y intéresser. J’en ai bien sûr eu à la maison pour mes enfants. Ce qui est amusant aujourd’hui, c’est que je retrouve souvent des CPC dans les brocantes et les vide-greniers.

Avez-vous une idée du parc de machines atteint en France ? Nous avons écoulé 1 million de CPC rien qu’en France. Ce qui représente un tiers de tous les CPC vendus par Amstrad dans le monde !!!

A quel moment a-t-on décidé d’arrêter la production de la gamme des CPC ? Juste au bon moment. On a tout vendu, il ne nous est resté aucun stock de machines sur les bras.

Y a t-il eu des projets logiciels ou matériels qui n’ont pas abouti et qui auraient rendu les machines encore plus intéressantes ? Pas à ma connaissance.

Par contre ce que je peux vous dire, c’est qu’avec les machines, nous avions en charge la distribution des productions d’Amsoft (l’éditeur de jeux d’Amstrad). Je recevais de gros cartons avec les jeux, et comme nos clients réclamaient régulièrement des programmes, je piochais au hasard quelques K7 pour leur expédier.

Heureusement que de nombreux éditeurs se sont mis très rapidement à développer des jeux car la majorité des programmes d’Amsoft étaient des « nanars ». Avez-vous quelques anecdotes ou histoires croustillantes à nous faire partager ? J’avais été convié à l’émission de radio « le téléphone sonne » avec les représentants des plus gros constructeurs informatique de l’époque qu’étaient IBM, Apple et Thomson. Les auditeurs étaient invités à poser leurs questions aux différents intervenants et ma plus grosse crainte, c’était que je passe complètement inaperçu.

Le premier auditeur prend la parole et sa question était pour les autres constructeurs…

« Pourquoi vous n’arrivez pas à vendre vos machines au prix des Amstrad ? »

Si vous deviez changer une chose aujourd’hui dans la gestion de la filière française d’Amstrad, quelle serait-elle ? Non je ne changerais rien. Je pense avoir dirigé cette société avec beaucoup de rigueur et d’assiduité. Dans ce genre de projet, il faut être impliqué à 100% pour que ça fonctionne.

Et si c’était à refaire, reprendriez-vous les commandes de cette entreprise ? Bien sûr !!! Même si la fin n’a pas été celle que j’aurai souhaitée.

C’était extraordinaire. Chaque jour, chaque année il y avait des nouveautés. J’ai vécu une expérience unique et formidable.

Après le coup de génie de ses petites machines complètes et aux prix attractifs (CPC 464, 6128), Amstrad a ensuite développé d’autres machines avec autant de brio. Une gamme PC de bureau (1512/1640) et des PC portables (PPC), des PDA ainsi que des traitements de texte PCW. Quelle est la, ou les, machines qui remportent vos faveurs ? Quelle question !! Le CPC bien évidement.

C’est une machine qui par son concept est entrée dans de nombreux foyers et a en partie démocratisé l’informatique familiale. Il y a une vie après Amstrad… En quelle année avez-vous quitté Amstrad et qu’avez-vous fait ensuite ? J’ai démissionné en 1992.

Une société aux USA m’a ensuite proposé un poste qui ne m’accordait pas autant de liberté qu’auparavant. Ils souhaitaient vraiment m’engager mais proposaient un contrat extrêmement compliqué avec 70% de salaire variable et des heures de travail sans limite. J’ai donc travaillé avec eux pendant quelques temps comme conseillère.

Mon départ d’Amstrad France m’avait marqué au fer rouge et je n’avais plus vraiment le cœur à m’investir. J’étais usée, fatiguée.

Il m’a fallu faire un gros travail sur moi pour remonter la pente et c’est dans la création que j’ai ensuite trouvé du réconfort. Je me suis lancée dans la céramique et la peinture sur porcelaine. Cette activité a donné un nouveau sens à ma vie. Ce fut ma thérapie.

Avez-vous gardé des contacts avec Sir Alan Sugar ?

 Je suis restée pendant plus de vingt ans sans nouvelles d’Alan Sugar. Même lors de mon départ, tout s’était fait avec des intermédiaires. Il m’avait envoyé ses « sbires » qui m’ont tout simplement assassinée…

Ce qui est amusant, c’est qu’il y a quelques mois seulement, il m’a envoyé par DHL son livre « What You See Is What You Get: My Autobiography« . Il m’a également donné  des photos de toute sa famille et des DVD de son émission The Apprentice qui remporte un franc succès au Royaume Uni.

Dans son livre qu’il m’a dédicacée, il me remercie je crois pour la première  fois. Ce qui à mes yeux donne l’impression d’un petit « happy end », un léger réconfort…

Les possesseurs de machines Amstrad de l’époque gardent pour la plupart un souvenir ému et nostalgique de ces débuts de l’informatique personnelle. Quel est votre propre sentiment ? Ce fut un moment important de ma vie. C’était toute une époque, une aventure…

Aviez-vous connaissance du phénomène rétro-gaming et de l’existence de passionnés d’Amstrad CPC ? Non, pas du tout. Par contre je reçois régulièrement des messages de sympathie de la part d’anciens utilisateurs de CPC sur Facebook, ce qui me fait toujours plaisir.

  Si vous souhaitez rajouter quelque chose pour les visiteurs de PhenixInformatique.com, je vous laisse la parole… Merci à vous de m’avoir contactée et permis de faire ce petit retour en arrière. J’en profite aussi pour saluer tous ceux qui nous ont fait confiance et qui ont grandement contribué à notre succès.

Je finirai en vous remerciant encore une fois pour votre gentillesse. Votre nom est encore gravé dans de nombreux esprits et restera longtemps associé au succès d’Amstrad. Mme Vannier, j’ai été flatté de pouvoir vous poser toutes ces questions et je vous en suis très reconnaissant.

Merci encore.

Phenix