Eric Charton • Amstrad France

Eric Charton est à l’origine informaticien, spécialisé dans la programmation assembleur et systèmes. Il a été employé d’Amstrad France et journaliste pour Amstrad Magazine. Il nous a confié avoir adapté le clavier du CPC 6128 pour la France.

Que voulez-vous dire lorsque vous nous affirmez avoir adapté le clavier 6128 en français ? S’agit-il du passage du Qwerty à l’Azerty ?

Oui ! C’était une demande du service Marketing d’Amstrad France. Pour y répondre, nous avons étudié (avec Cyril Hing) les claviers accentués existants (ceux des PC) et cherché des solutions pour franciser ce clavier (qui jusqu’ici avait toujours été vendu en anglais). Ce n’était pas évident : contrairement à un clavier de PC, le clavier de CPC était très « grand public ». Il n’a jamais été pensé pour accepter la francisation.

Il s’agissait d’élaborer le plan du clavier, d’imaginer des solutions et des suggestions pour reprogrammer les ROM, et de prévenir tous risques de défectuosité logicielle liés à cette modification (incompatibilité de jeux par exemple). À cette occasion, nous avions été travaillés quelques jours à Brentwood avec Roland Perry et ses assistants pour finaliser la définition du prototype. Si je me souviens bien, je crois que l’idée sous-jacente à l’époque était d’empêcher les importateurs parallèles de diffuser des CPC en France (ce qui perturbait le marché de la filiale Française).

Avec un CPC francisé livré uniquement chez Amstrad France, plus aucun revendeur n’aurait osé vendre des CPC d’importateurs parallèles (à clavier Qwerty) : il aurait été immédiatement démasqué (et sans espoir de se voir livré à nouveau un jour par Amstrad France). Il y avait un aspect juridique aussi : des lois obligeaient les importateurs à fournir des produits francisés. Le CPC Azerty permettait de poursuivre ceux qui vendaient du Querty. Amstrad France gérait toujours la pénurie, et pendant des années, n’a eu de cesse de chercher à empêcher les importateurs de lui prendre ses parts de marché.

Comment êtes-vous rentré chez Amstrad à l’époque ? Et connaissiez-vous la machine ou étiez-vous seulement passionné d’informatique ?

Je pigeais pour Amstrad Magazine depuis un mois ou deux en tant que Journaliste Stagiaire, et j’avais envie de trouver un emploi salarié chez un constructeur (les stagiaires – surtout pigistes – sont très mal payés… ). J’avais déjà un peu d’expérience puisque j’avais programmé des jeux pour Sprites (sur Spectrum et Excelvision). François Quentin – le directeur technique et marketing d’Amstrad France – a demandé à Philippe Lamigeon (Rédacteur en chef d’Amstrad Magazine) s’il connaissait un programmeur pour travailler sur le support et les localisations des machines Amstrad.

 

Philippe Lamigeon m’en a parlé. J’ai dû avoir un rendez-vous avec François Quentin le lendemain, à Sèvres, et j’ai commencé à travailler le surlendemain… J’avais posé comme seule condition – pour être embauché si rapidement – de pouvoir continuer à écrire pour Amstrad Magazine. Je connaissais un peu le CPC à titre professionnel : je l’ai décortiqué pour publier des articles techniques chez Amstrad Magazine. Je connaissais surtout son processeur Zilog et son assembleur Z80 que j’avais programmé sur les Spectrum.

À quels magazines CPC avez-vous participé ?

Amstrad Magazine depuis le numéro 1 (mon premier article était un programme en Loco Basic). Pendant tout le temps où j’ai travaillé chez Amstrad France, j’ai continué à travailler sur Amstrad Magazine, mais sous des pseudonymes. Le fait était connu de tout le monde. François Quentin m’avait demandé de ne pas signer mes papiers, car Marion Vanier appréciait modérément qu’un de ses collaborateurs écrive pour ce magazine qu’elle détestait (plusieurs pigistes d’Amstrad Magazine ont aussi été embauchés par Amstrad : Cyril Hing, Fabienne Ferrer).

J’ai travaillé dans tous les magazines Amstrad de Sepcom et Laser Presse (AmMag, AmPro, Les cahiers d’Amstrad Magazine, Amstrad PC Mag) et conçu quelques hors série. J’ai passé bien plus de temps chez Amstrad Magazine que chez Amstrad France ! Quand j’ai quitté Amstrad France, j’ai été intégré au comité de rédaction et je suis devenu permanent pour le groupe Sepcom. J’ai dû travailler avec tous les rédacteurs en chef qui se sont succédé sur Amstrad Mag (puis AmMag) ou presque. Après une interruption (j’ai créé une société qui concevait des logiciels d’image de synthèse), j’ai aussi travaillé sur quelques numéros de Amstrad 100% avant de revenir chez Sepcom pour écrire dans PC Magazine.

Que pensez-vous de la presse spécialisée de l’époque, car on a tendance à la croire plus diversifiée, mais aussi moins professionnelle qu’aujourd’hui ?

Amstrad Magazine faisait plus de 200 pages, et tirait à 120 000 exemplaires (plus que SVM). Nous avons publié des « scoops » sur toutes les machines d’Amstrad, parfois quand les machines étaient encore à l’état de « réflexion chez le constructeur ». Il y avait des investigations sur les « tares d’Amstrad » (pénuries de disquettes, défaut de produits, abandons de technologies). Marion Vannier était tellement furieuse de la liberté de ton de ce magazine qu’elle n’a jamais eu de cesse de chercher à le faire fermer !
Rares sont les magazines micro actuels pouvant se targuer de faire un travail d’investigation aussi riche que celui qui était fait à l’époque. Évidemment, Amstrad Magazine était moche, maquetté à la va-vite, imprimé sur du papier minable, mais l’information était vraiment de bonne qualité et pointue. Pour ce qui est de la presse de l’époque, je crois qu’elle était au moins aussi professionnelle qu’aujourd’hui et surtout bien plus impertinente. En ce moment, il est bien difficile pour un journaliste de donner un point de vue réaliste sur le monde des entreprises informatiques… quand le secteur est en crise et que la manne publicitaire se tarit… les pressions se multiplient, quoi qu’on en dise.
À mon avis, ce sont les blogs qui sont en train de retrouver le ton de cette époque.

Votre adaptation de Commando sur Spectrum : comment avez-vous été contactés, est-ce que cela a été une expérience enrichissante et surtout avez-vous été satisfaits du résultat ?

Le logiciel Commando sur Spectrum n’est pas une adaptation : j’ai été le premier à écrire un jeu sous ce nom, édité par Sprites en 1984 (d’autres jeux de l’époque dont je suis l’auteur ont été copiés par la suite, notamment la Grande Boucle – qui a eu un joli succès en France -, reproduit à l’identique par une société Espagnole) ! J’avais conçu ce programme seul avec mon premier Spectrum, avec la vague idée d’en faire un métier. Je l’ai d’abord proposé à Loriciel. Ils l’avaient oublié sous une pile de dossiers.
À l’époque, j’habitais à Toulon. Un jour, ils ont retrouvé la cassette sous la pile : Marc Bayle (l’un des fondateurs de Loriciel) voulait m’envoyer un billet de train pour que je vienne signer le contrat sur le champ. Mais j’avais déjà signé chez Sprites. L’expérience du jeu a été globalement satisfaisante : l’équipe de Sprites était très sympa, on travaillait le jour, la nuit… « Enrichissante » beaucoup moins : Sprites a fait faillite de manière peu glorieuse, en pigeonnant largement la plupart de ses auteurs…
C’est chez Sprites que j’avais sympathisé avec Philippe Lamigeon, qui venait tester nos jeux pour Laser Presse. Tout naturellement, il m’a proposé un jour de travailler sur le projet Amstrad Magazine, quand il en est devenu le premier rédacteur en chef : voilà le meilleur résultat de cette période !

Votre avis sur l’image d’Amstrad en général à l’époque et maintenant ?

La société Amstrad de l’époque était une société de fou : pour prévoir la production des usines asiatiques, François Quentin prenait les prévisions de vente du service commercial, les multipliait par deux (les usines d’Amstrad travaillaient en flux tendus, donc il fallait prévoir les stocks longtemps à l’avance), et les ruptures de stock était double de ce qui avait été commandé !

La France récupérait tous les excédents de stocks de toutes les filiales Européennes, et c’était encore insuffisant. Je crois que rares sont les produits qui ont fait l’objet de telles pénuries : ça avait un côté « Union Soviétique ». Les revendeurs venaient hurler dans les bureaux pour être livrés. On parlait d’Amstrad partout, à la radio, à la télé, dans les news magazine. Cette entreprise était tellement extraordinaire par sa croissance, la passion des consommateurs pour son produit qu’elle était mythique. Et ça a continué pendant des années. Quelle autre entreprise a connu une telle fulgurance ?

En un an, je crois que Amstrad est passé de 50 MF à 300 MF de chiffre d’affaires, puis en une autre année, de 300 MF à 1MD ! C’était tellement rapide que même les directeurs financiers d’Amstrad International ne parvenaient pas à anticiper les bénéfices et à optimiser les prix de transferts (les groupes internationaux facturent leur matériel à des prix variables – les prix de transfert – pour concentrer les bénéfices sur le siège). Quand je partais en vacances, en revenant, il y avait la moitié des nouveaux employés que je ne connaissais pas ! On changeait de bureau tous les trois mois tant le service technique grossissait vite ! L’Amstrad d’aujourd’hui n’a plus grand-chose avec celui de l’époque. Je ne savais même pas que l’entreprise existait encore en France !

Pensez-vous qu’Amstrad puisse un jour revenir avec un micro ou une console ?

Amstrad a toujours été une société de « Hardware » : toutes les équipes de Brentwood étaient organisées pour produire à très bas prix des matériels électroniques. Les filiales – elles – savaient les adapter aux langues locales, et les vendre. Il n’y a jamais eu de vraies démarches de création « d’intelligence » chez Amstrad. C’est un profil de « négociant » plus que de « créateur ».

Je pense que c’est très lié à la personnalité de Michael Sugar. Il a une mentalité de « raider » : il investit un marché ou existe une forte marge, et avec des structures légères, il conçoit un produit pour l’envahir en faisant des marges dérisoires. Il n’y a pas ou peu d’esprit d’entreprise, de stratégie à long terme. À l’époque du CPC et des PC, très franchement à Brentwood, le seul endroit où l’on se sentait à peu près bien, c’était le plateau de développement où se trouvait Roland Perry et son équipe. Et encore, car les Français n’étaient que moyennement appréciés. Partout ailleurs, l’ambiance était plutôt du style de celle qui existe aujourd’hui dans les centres d’appels (garde chiournes sur des plateaux d’un étage entier, messages dans des hauts parleurs).

L’Amstrad CPC était un amas d’électronique pour Sugar, mais Locomotive Software – encouragé par Roland Perry – y avait ajouté un software (le Loco Basic notamment) très séduisant et novateur pour l’époque. Et Roland Perry était un génie du design électronique : il concevait des cartes mères à très bas prix (en dessinant des processeurs VLSI très astucieux). Mais tout en respectant les consignes économiques de Sugar, il ne concevait pas des ordinateurs au rabais. Pour un coût de production moindre, les ordinateurs Amstrad avaient toujours plus que leurs concurrents !

Là est probablement la clé du succès des CPC puis des PC15 et 16xx. Dès que l’ordinateur (ou la console) sont devenus des produits qui exigent de la créativité et de l’investissement humain de la part de ceux qui les fabriquent, Amstrad a été sorti du marché. Il faudrait que Amstrad rencontre un nouveau « Locomotive Software » et un autre Roland Perry… peu probable. En revanche, Amstrad pourrait très bien revenir sur des produits numériques grand public (lecteurs DivX de salon, téléphones portables intelligents).

Comme pour les visiteurs de notre site, il y a beaucoup de nostalgie qui se dégage de cette époque, faites-vous partie des fleurs bleues qui pensent que c’était mieux avant ? Ou au contraire êtes-vous résolument tourné vers l’avenir sans aucun regret pour ces pauvres machines ?

Aucun regret ! Je me suis bien amusé, je suis content d’en avoir profité, et c’était une expérience unique, mais pour un technophile comme moi, il n’y a aucune mesure entre ce que l’on peut faire avec un PC relié à Internet aujourd’hui et les machines d’hier. Mon téléphone portable à bien plus de puissance et de capacités qu’un Amstrad CPC ou même qu’un PC des années 90 !
Quelles tâches exactement vous étaient attribuées chez Amstrad ? Qu’avez-vous réalisé au niveau hardware ou software ?

Le libellé exact de ma fiche de paye (j’ai vérifié ! ) est « programmeur qualifié » par ce que j’avais un profil de programmeur assembleur (Z80). Mais malheureusement, les Anglais n’aimaient guère voir la filiale Française travailler sur les logiciels ou les matériels. Ceci dit, de toutes les filiales, Amstrad France est probablement celle qui a le plus travaillé sur les prototypes.

En fait, dans un premier temps, j’ai travaillé sur les traductions (1985) des manuels d’utilisation. L’équipe d’Amstrad France était très petite quand je suis entré (deux personnes plus le directeur technique). Je faisais aussi du support pour les revendeurs (réponses aux questions techniques, rédaction de tips et de bulletins de support). On me laissait beaucoup de temps pour m’amuser avec les évolutions des ordinateurs (j’ai travaillé sur presque tous les prototypes d’Amstrad jusqu’au PPC), et être capable de fournir une solution à n’importe quel problème technique ou système (ou de faire remonter l’information en Angleterre). Sur les PCW, mes compétences de programmeur Z80 étaient utilisés pour les localisations du système CP/M (compilation des systèmes, des outils). À la fin, ce n’était plus très clair : je savais bidouiller à peu près tout sur toutes les machines, et j’avais un statut particulier auprès de François Quentin qui aimait bien cet aspect de ma compétence. Il y avait un côté veille technologique. J’ai été l’un des premiers à travailler sur le loco basic des PC1512 par exemple : en maîtrisant le langage, je pouvais éclaircir des points pour les traducteurs.

Il y eut toute une phase d’adaptation des cartes d’extensions pour le PC 1512 : des fabricants de modems, de cartes réseaux, de disques durs, venaient nous voir pour tester leurs produits et éventuellement adapter leurs pilotes. Je leur fournissais les informations systèmes nécessaires et testait leurs produits sur les prototypes de 1512. Avant que les premiers prototypes du PC 1512 n’arrivent, par exemple, nous avons dû adapter un PC IBM avec les systèmes du 1512 pour commencer à travailler sur le projet 1512. J’ai travaillé sur ce genre de choses. Ça a été le cas avec les outils de localisation du PC 1512 : le gestionnaire de localisation de Gem était assez complexe, on m’a laissé m’amuser avec quelques semaines, j’ai commencé la traduction de quelques ressources, puis le relais a été passé aux traducteurs.
Pareil pour les premières traductions des sources de MS-Dos (3.2) Très franchement, je crois que c’est l’un des jobs les plus amusants que j’ai eus à faire et j’aurais probablement dû rester un peu plus chez Amstrad. François Quentin – avec qui je m’entendais bien – a été vexé longtemps de mon départ. Nous nous sommes réconciliés quand j’étais rédacteur en chef de Génération PC. Il m’a envoyé son livre (« Ces ordinateurs sont dangereux » éd Micro Application) avec un petit mot et une gentille dédicace.

Y a-t-il un jeu que vous auriez aimé réaliser ?
Simcity … Les derniers projets de jeux sur lesquels j’ai travaillé chez Sprites étaient des simulateurs économiques.
Et aujourd’hui que faites-vous ?

Après Amstrad, j’ai retravaillé comme journaliste et j’ai investi dans plusieurs sociétés (télématiques, images de synthèse), plus tard, je suis devenu Rédacteur en Chef de PC Magazine et de Génération PC (que j’ai fondé). Après avoir quitté le groupe Pressimage, j’ai eu envie d’habiter en Provence (ou je suis maintenant) : j’ai produit des CD-Rom et j’écris des livres qui sont publiés par le groupe Pearson, et je pige de temps en temps pour des magazines (ces trois dernières années, j’ai travaillé pour l’Informaticien, SVM …).

J’ai aussi créé une société d’édition de sites Web à Manchester qui produisait les sites Webgratuit.com et lewebmaster.com (qui ont été vendus). Quelques-uns de mes ouvrages ont du succès et ont été traduits (Anglais, Italien, Néerlandais) ce qui me permet de continuer à explorer et bidouiller des ordinateurs (et internet) tout en habitant au soleil.

Vous arrive-t-il de rallumer votre CPC ?

Je n’ai plus de CPC ! J’ai eu quasiment toutes les machines de cette époque : ZX 81, Spectrum, Spectrum Amstrad (un proto), tous les CPC, les Oric, les Thomson, tous les PC 1512 (et un proto), tous les PCW (dont un proto), le Squale, les Excelvision, etc. Les programmeurs de jeux au début étaient inondés de matériel gratuit. Je ne savais plus quoi en faire : j’ai tout donné à des amis au fur et à mesure (l’un d’eux a dû me rendre son Excelvision par ce que son père croyait que je les volais !).

J’ai racheté il y a un an un ZX 81 sur ebay, mais je n’ai pas eu le temps de l’allumer, et je dois avoir encore deux PC1512 qui traînent quelque part.

Merci infiniment Eric, je vous laisse conclure !
Bravo pour votre site et continuez à vous amuser avec ces machines rigolotes !

Eric Charton – www.echarton.com

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